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Les clés pour frimer en expo : Basquiat x Warhol, A quatre mains - Fondation Louis Vuitton


 

[Article rédigé par Eva Muller]

 
"Une conversation advenant par la peinture, à la place des mots"

Keith Haring, à propos de la collaboration entre Basquiat et Warhol


Jusqu'au 28 août, la Fondation Louis Vuitton (Paris 16) met à l’honneur deux (très) grands artistes américains : Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol. Une grande partie de leur collaboration (brève, mais genre super méga productive) est exposée (environ 100 œuvres sur 160 produites à 4 mains entre 1983 et 1985).


Des œuvres individuelles mais aussi réalisées par d’autres artistes les côtoient sur les murs de cette exposition gigantesque.


Et purée QUELLE EXPO !


[Clique ici pour les infos pratiques]

Gigantesque, c’est le cas de le dire. L’exposition s’étend sur 3 étages et 10 galeries. Si comme moi t’as aucun sens de l’orientation, ça risque de mal se passer. Déjà le risque potentiel de faire l’expo dans le mauvais sens est assez élevé, mais en plus les vigiles finissent par te regarder avec suspicion quand tu entres dans la même salle pour la 17e fois.

Heureusement, tu peux toujours prendre un air intelligent et dire que c’est pour mieux t’imprégner de l’atmosphère créatrice…..


Je dois t’avouer que, pendant ma visite, j’étais clairement perplexe. C’est tellement immense que tu ne sais pas où regarder. Et il y a très peu d’explications. C’est super quand t’as une sensibilité artistique exacerbée ou des connaissances très poussées, mais en l'occurrence j’avais VRAIMENT besoin d’une explication pour comprendre pourquoi un chien a l’air vicieux était reproduit partout. Ou pourquoi d’un coup je me retrouvais face à la tête de Basquiat sur une veste en jean.


Untitled (Two Dogs), 1984 // Galerie 6 : La scène artistique de Downtown New York dans les années 1980


Bon, je ne suis toujours pas certaine d’avoir compris MAIS, après avoir réfléchi jour et nuit sur la nature de cette exposition (j’ai pas de vie ok), j’en suis venue à me demander si ce n’est pas leur relation qui est au centre de l’expo plutôt que réellement leurs oeuvres. Si c’est ça ben en fait c’est très bien fait. Je vais t’expliquer pourquoi. Et si ce sont les œuvres svp ajoutez des cartels, on a besoin d’explication (mais je vais quand même essayer de t’éclairer aussi).


Quoi qu’il en soit, cet article va te donner quelques pistes pour que tu n'arrives pas là bas en mode je suis où rendez le Louvre.

 

Biographies en 30 secondes top chrono (mais chronomètre pas vraiment stp je mens peut-être un peu)


Tu connais probablement Warhol, peut-être un peu moins Basquiat. Mais seulement parce que t’as pas lu notre super article biographique “The Radiant Child, Jean-Michel Basquiat”, donc c’est facilement rattrapable.


Jean-Michel Basquiat (1960 - 1988)



Pour te faire un petit résumé, sa (courte) vie n’a pas été super fun. Il naît à New-York de parents d’origine portoricaine et haïtienne puis se fait renverser par une voiture à 8 ans. On commence direct. Il faut ajouter que sa mère est dépressive et colérique. Et que ses parents divorcent. Et qu’il fait face au racisme dans sa nouvelle école.


Heureusement, lorsqu’il est adolescent, il commence le graffiti et y trouve un moyen de s’exprimer. Et on peut dire qu’il a eu du flair, parce que dans les années 80 les graffeurs commencent à être reconnus comme des artistes et peuvent exposer leur travail.



Son ascension commence alors et il expose pour la première fois son travail en 1981. Lorsque sa collaboration avec Warhol commence, il est à l’apogée de sa carrière et de son art.


Andy Warhol (1928 - 1987)



Après une carrière dans la publicité, il se consacre à son art et touche un peu à tout (cinéma, musique en tant que producteur).


Il révolutionne littéralement l’art dans les années 1960 en inventant le Pop art (qui mêle culture populaire, consommation et art en gros - tout en repensant le rôle de l’artiste qui devient presqu’une machine grâce à la sérigraphie notamment).



Le problème c’est que 20 ans plus tard, il donne l’impression de stagner un peu.


Jusqu’à ce que…


Les deux artistes se rencontrent.



 

Rencontre, amitié et rupture (non, ce n’est pas un remake des Feux de l’amour)


Les deux hommes se rencontrent formellement le 4 octobre 1982, grâce à leur galeriste commun, Bruno Bischofberger. Je dis officiellement, parce que quelques années avant, Basquiat avait déjà réussi à vendre deux petites cartes postales à Warhol. Stylé.


Entre Jean-Michel qui admire très fort Andy parce qu’il a quand-même créé de sacrés trucs et Andy qui admire très fort Jean-Michel parce qu’il est jeune, bg, rebelle et au sommet de son art, l’entente est quasi-immédiate.


Un tableau représente cette première rencontre : Dos Cabezas.


Basquiat, Dos Cabezas, 1982
Basquiat, Dos Cabezas, 1982

Pourquoi ce tableau est super intéressant ? Parce que, bien que Basquiat en soit à l’origine, il reprend ici une habitude de Warhol : lorsque quelqu’un entrait dans son atelier, il le prenait en photo pour la transformer en œuvre par la suite. Ici, Basquiat a également choisi de reproduire une photo d’eux deux, prise à l’occasion de cette première rencontre.


Photo ayant inspiré l'oeuvre Dos Cabezas de Basquiat
Photo ayant inspiré l'oeuvre Dos Cabezas de Basquiat

On reconnaît l’esprit de la photo, toute en contraste : la peau claire de Warhol, ses cheveux argentés, la peau et les cheveux sombres de Basquiat. S’il reprend la position de Warhol, avec la main sous le menton, il casse les plans de la photo. Il quitte le premier plan, pour se représenter aux côtés de Warhol.


La symbolique est très forte : malgré leurs âges, malgré leurs carrières, malgré leurs couleurs de peau, les deux hommes sont égaux.


D’égaux, ils deviennent amis.


Leur relation est très bien mise en avant je trouve. En plus de leurs œuvres, on entre vraiment dans leur intimité (mais pas de manière glauque lol), grâce aux photographies notamment. Les photos stars de l’expo sont celles de l’artiste américain Michael Halsband. Prises en 1985 à l’occasion de leur première exposition commune dans la galerie Tony Shafrazi, elles mettent en scène les artistes sur un ring. Oui oui, c’est de cette série qu’est tirée la photo stylée que tu vois partout dans Paris en ce moment.



Tu peux aussi voir des extraits de leurs interviews communes, qui rendent vraiment compte de la dynamique de leur relation. Ainsi que des photos plus intimes et d'autres trucs assez touchants. Genre certaines des times capsules d’Andy Warhol ouvertes pour l’occasion.


J'ai littéralement failli verser ma petite larme dans cette salle. Tu peux pas comprendre sans y aller (Galerie 7, “Storytelling”).


Bon et quand tu entres dans la salle “Requiem” c’est fini pour ton petit coeur, je te préviens. Même si Basquiat avait mis fin à leur collaboration et amitié un an et demi plus tôt*, il est extrêmement affecté par la mort de Warhol en février 1987.


*Leur première exposition commune est un échec. La presse accuse Warhol de se servir de Basquiat comme d’une marionnette, qui ne le prend pas très bien. Voilà pour le résumé très résumé.



Ce triptyque lui rend hommage. Il est aussi une réflexion plus générale sur la mort, thème qui hante d’ailleurs la suite de ses œuvres. Les portes évoquent une sorte de passage vers l’au-delà, et le caractère éphémère et fragile de la vie est souligné par le mot “perishable” - de même avec la tulipe noire par exemple.


Leur art est nourri par cette relation, c’est pour cela que je voulais te la présenter avant toute chose. Promis, on va finir par parler un peu plus de leurs œuvres MAIS il me reste un dernier truc à évoquer vite fait. L’environnement dans lequel ils évoluent.


 

La scène artistique new-yorkaise dans les années 1980


La représentation de cet environnement est aussi très réussie. On se retrouve vraiment plongé dans cette époque, marquée par l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes. Ils travaillent ensemble, s'approprient la rue, font émerger de nouveaux langages picturaux.



On comprend mieux, grâce aux œuvres et objets choisis, les toiles de nos deux artistes : leur art découle de leur amitié, de leurs relations diverses mais aussi de leur environnement. Ils s’en inspirent beaucoup, d’où les représentations fréquentes de la rue ou d’objets du quotidien. Et puis c’est toujours plaisant de tomber sur un scooter en plein milieu d’un musée, très bonne idée je valide.

 

Deux amis, deux artistes


Des styles distincts


Tu vas me dire “oui bon c’est bien beau tout ça mais a priori j’ai pas envie d’aller voir une expo d’une si grande envergure pour admirer un scooter et des chaussures défoncées”. Je te comprends. Heureusement pour nous, la liste des œuvres présentées n’en finit pas. Bon, elles ne sont pas toutes compréhensibles* mais c’est quand-même très impressionnant.


*Mais est-ce que c’est vraiment le but de l’art de l’être ?? De rien pour les nœuds au cerveau.


Déjà, si tu observes bien, tu vas apprendre à connaître et reconnaître le style de chacun dans leurs tableaux. Parce qu’il faut dire qu’il est au départ bien différent. A cette époque, Warhol ne peint presque plus. Il utilise plutôt la sérigraphie et tente de faire disparaître la main de l’artiste derrière ses œuvres. Ses motifs privilégiés sont en lien avec la culture populaire. On retrouve vraiment cette idée de série : un même motif, identifiable et généralement connu de tous, est répété des dizaines de fois - parfois avec quelques modifications.


Voilà son premier succès :

Warhol, Campbell Soup Cans, 1962
Warhol, Campbell Soup Cans, 1962

Eh ouais, désolée de te le dire mais, potentiellement, la boîte de conserve qui traîne dans ton placard a plus de chance de devenir famous que toi.


Chez Basquiat, on est loin de la série. Il peint à la main des visages expressifs, silhouettes squelettiques ou des objets pas toujours très bien identifiés. Il n’hésite pas à juxtaposer les couches, ce qui altère parfois la lisibilité de l'œuvre, mais lui donne encore plus de profondeur.


Basquiat, In This Case (1983)
Basquiat, In This Case (1983)

En résumé, Basquiat est pronfondément spontané, là où Warhol joue plutôt sur la régularité du motif.


Assembler les techniques et procédés artistiques


On retrouve très bien ces éléments dans les œuvres communes, réalisées dans leur atelier à Broadway. Généralement, Warhol commençait. Comme à son habitude, il représentait un motif simple, parfois de manière sérielle. Il utilisait généralement une technique visant à projeter un motif sous la toile pour le reproduire en repassant sur les lignes.


Genre ça mais en plus élaboré.

Ensuite, Basquiat repassait sur le motif, ajoutait des éléments, mettait un peu de bazar dans le tout quoi. Voilà.


Chair, 1985

Pour Chair, on voit assez bien le processus : Warhol a reproduit des chaises de jardin sur tout le long de la toile. Basquiat en a ensuite barré une, ajouté ses visages et dessiné des mains et autres objets. Au caractère identique et reproductible des fauteuils, il oppose une accumulation de tout un tas de trucs pas forcément reliés entre eux.


Untitled, 1984-1985
Untitled, 1984-1985

Pareil ici : on retrouve un thème cher à Warhol, la réflexion autour de la publicité et de la consommation. Il commence d’abord en représentant de la viande, par la suite partiellement recouverte par Basquiat.


En plus des techniques, on trouve donc également un répertoire iconographique propre à chacun. Leurs thèmes de prédilection respectifs se répètent et se rejoignent au sein de leurs tableaux.


Assembler les revendications

Arm and Hammer II, 1985
Arm and Hammer II, 1985

On trouve ici autant le goût de Warhol pour la publicité et la culture populaire avec le logo de la marque américaine Arm & Hammer que le soin porté par Basquiat à représenter des figures noires dans ses tableaux. Puisque leurs motifs se rejoignent, leurs engagements et préoccupations également : Warhol interroge le rôle des grandes entreprises dans la société de consommation américaine, Basquiat pose la question de la représentation des Afroaméricians dans cette même société.

L’association de ces deux médaillons leur permet ainsi de questionner la place de ces derniers dans un monde gouverné par les grandes entreprises et préjugés raciaux.


Fusionner


Bien que leurs œuvres soient communes, il reste donc généralement assez simple d’identifier qui a fait quoi. Nous retrouvons presque toujours des signes distinctifs et traces de leur identité artistique respective. Mais parfois, comme dans l'œuvre ci-dessous, leurs styles se confondent. Nourris l’un par l’autre, chacun s’essaye à d’autres techniques et à d’autres répertoires.


C’est à ce moment-là, d’après Warhol, qu’ils sont au sommet de leur réussite.


6.99, 1984 (non je ne viens pas de te donner le digicode de mon immeuble, juste le nom du tableau et l’année)

En somme...


La collaboration de Warhol et Basquiat n’aura duré que deux ans. Pourtant, elle est particulièrement riche et illustre à merveilles trois identités artistiques : leur identité respective, mais aussi celles qui créent ensemble.

Les innombrables tableaux présentés à l’occasion de cette exposition sont des témoins de cette collaboration, mais surtout d’une relation entre deux artistes. C’est cette dernière qui est mise en avant par la Fondation Louis Vuitton : leurs œuvres ne permettent pas seulement de retracer le parcours de deux artistes, mais bien de deux hommes, vus au prisme de leur amitié.


Et voilà, tu es à présent paré à visiter l’expo !

 

Infos pratiques

  • Quoi ? Exposition "Basquiat × Warhol, à quatre mains"

  • Où ? À la Fondation Louis Vuitton, Paris 16ème.

  • Quand ? Du 5 avril au 28 août 2023.

  • À quel prix ? De 5 à 16€ (10€ pour les -26).

 

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