[Article rédigé par Lisa C.]
Tu te sens un peu paresseux ? Ça tombe bien, j'ai tout prévu pour la larve que tu es : tu peux retrouver cet article en format résumé-carrousel sur Instagram ! ou même sous forme de courte vidéo sur Tiktok (@pimpmyculture).
Déjà, avant toute chose, je vais te montrer une petite compilation (non-exhaustive) des oeuvres de Basquiat... et j'aimerais bien avoir ton avis !
Alors, là comme ça, avant d’en savoir plus sur ses œuvres...
Qu’est-ce que tu penses des oeuvres de Basquiat ?
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Lui, c'est Jean-Michel Basquiat.

Graffeur, musicien, acteur, mais surtout dessinateur et peintre de génie, Jean-Michel Basquiat s’est illustré par son style pictural absolument unique, spontané, terriblement énergique et engagé. Véritable icône du mouvement underground néo-expressionniste, Basquiat est à l’origine d'œuvres aux inspirations et aux procédés de création hybrides, aux couleurs souvent vives mais aux thèmes parfois sombres et angoissés.
Quel a été le parcours de cet enfant prodige, figure majeure de l’art contemporain ? Pourquoi ses œuvres ont-elles tant marqué l’histoire de l’art ?
Cet article est l’occasion de retracer sa (tristement) courte carrière et de se plonger dans l’univers unique de l’un des plus grands artistes de tous les temps (oui c’est totalement subjectif et je fangirl vous m’excuserez).
Un petit sommaire pour que tu t'y retrouves plus facilement
une enfance bien merdique
Jean-Michel Basquiat naît à New York en 1960, de parents d’origines portoricaine et haïtienne. Dès l’enfance, sa mère stimule sa créativité et son goût pour l’art. Jusque-là, tout va bien…
Mais à l’âge de 8 ans, Basquiat est renversé par une voiture. Il reste hospitalisé un peu plus d’un mois. À ce moment-là, sa mère lui offre Gray’s anatomy, qui n’est pas une compilation de la série Grey’s anatomy trololol - mais un manuel d’anatomie. Ledit manuel influencera énormément les futures réalisations du jeune Basquiat.
Bon, ce n’est déjà pas la joie, mais en plus, après l’accident, sa mère vrille un peu. Elle oscille entre épisodes dépressifs et crises de colère, au point de mettre plusieurs fois sa famille en danger. Ses parents finissent par divorcer, et la mère étant en plus physiquement malade, c’est son père qui obtient la garde des 3 gosses. Et comme si ça ne suffisait pas, il a des soucis financiers qui le poussent à déménager. Basquiat est transféré dans une nouvelle école, où il subit pour la première fois des remarques racistes. Son père le décrit alors comme “un enfant en colère […] très agressif” (tu m’étonnes).
“who the hell was this guy Samo?”
Adolescent, Basquiat commence à graffer les murs du centre de Manhattan en compagnie de l’artiste Al Diaz. Préférant rester anonymes, ils signent leurs œuvres du pseudonyme de “SAMO”, qui signifie “Same Old shit”.
Ces graffitis entre provocation, sarcasme et poésie font beaucoup parler. À New York, tout le monde s’interroge. “Who the hell was this guy Samo?” (en français, “qui était ce type Samo ?” pour rester polie). En 1978, Al Diaz et Basquiat dévoilent leur identité dans une interview pour Village Voice et expliquent que SAMO est leur façon de critiquer la société dans laquelle ils évoluent (et de rigoler aussi un peu parce que certains de leurs graffitis les faisaient bien marrer). Le groupe se sépare peu de temps après mais aura permis à Basquiat d’obtenir un début de notoriété.
En parallèle, il vend des dessins, des t-shirts peints, des cartes postales à l’effigie de certains de ses collages. Un jour, il aperçoit Andy Warhol, un des artistes qu’il admire le plus, et réussit à lui vendre 2 de ses cartes. Cette rencontre, alors anodine, précède une grande amitié entre les hommes.
À ce moment-là, Basquiat s’initie également à la musique et fonde un groupe, “Gray”, en référence au fameux livre d’anatomie de son enfance. Il commence alors à fréquenter les boîtes de nuit à la mode et se lie d’amitié avec des réalisateurs et des artistes célèbres comme Madonna, Blondie, David Byrne…
En 1980, il joue son propre rôle dans le film Downtown 81 (oui, le mec sait littéralement tout faire). Malgré ses relations et ses multiples talents, Basquiat reste sans domicile fixe pendant des années. Il se met à peindre sur des objets du quotidien, tels que des réfrigérateurs, des portes, des fenêtres, parfois directement chez les amis qui l’hébergent.
Les années 1980s marquent également l’arrivée des graffeurs sur la scène artistique. Certains graffs sont transférés sur toiles, et vendus. Les graffeurs deviennent donc des artistes à part entière (enfin certains d’entre eux…). Et, par chance, c’est le cas de Basquiat.
En 1981 ses travaux sont exposés lors de l’exposition New York/New Wave aux côtés d’artistes comme Keith Haring et Robert Mapplethorpe (ce n’est pas rien). Il attire immédiatement l’attention de grands galeristes de l’époque comme Emilio Mazzoli ou Annina Nosei, qui l’exposent à leur tour. Cette notoriété nouvelle lui permet d’être invité à exposer durant la fameuse exposition d'art moderne et contemporain “documenta” de 1982, aux côtés notamment d'Andy Warhol, d'Anselm Kiefer ou encore de Gerhard Richter.

Il est alors propulsé sur le devant de la scène artistique et exposé dans les galeries les plus prestigieuses. Une première pour un artiste noir (oui, oui, si tard…).
une harmonie fracassante: l’œuvre de Basquiat
Depuis 1981, l'année du début des grands succès de Basquiat, la galeriste Annina Nosei lui a mis à disposition le sous-sol de sa galerie pour qu’il y installe son atelier. Les réalisations de Jean-Michou sont marquées par la même impression de vitesse et de spontanéité que les graffitis qu’il réalisait adolescent. Peuplées de personnages bizarres et de silhouettes squelettiques, semi-vivantes, d’objets, de lettres et de poésie, ses œuvres sont la parfaite projection de l’énergie chaotique qui anime Basquiat.
En dessin, en peinture ou en musique, Basquiat s’inspire de la pensée du compositeur John Cage, pour qui l’art doit intégrer une dimension imprévisible, hasardeuse. Ses toiles s’emplissent d’associations libres, impulsives, où se mêlent mots, signes et images dans une harmonie fracassante. Paroles brièvement entendues au détour d’une rue, murmures, propos arrachés d’un livre, d’une émission télévisée, partitions, sons, ambiances: chaque chose, chaque élément peut inspirer une composition. Et chez Basquiat, tout s’entremêle. Les influences mais aussi les matériaux, les matières. Sur ses toiles il expérimente avec l’acrylique, les pastel gras, et les collages, sorte de hip-hop pictural qui puise son inspiration dans les procédés de sampling et de scratching en musique. Il utilise des couleurs intenses, profondément vibrantes, joue sur la juxtaposition des couches et des motifs picturaux.
Basquiat érige une méthode stylistique absolument unique, entre effacement et transparence. Il dessine, peint, recouvre partiellement ou intégralement ses compositions, laissant toutefois quelques indices aux spectateurs afin qu’ils puissent discerner la représentation d’origine…
"Je redessine et j'efface mais jamais au point que l'on ne puisse plus voir ce qu'il y avait avant. C'est ma version du repentir."
Parfois, il travaille même sur plusieurs toiles en même temps: il donne un coup de pinceau sur l’une, revient effacer un mot sur l’autre, en entame une nouvelle… Ce mouvement continu et rapide est presque semblable à une danse.
Photo de son atelier chez Annina Nosei | Boy and Dog in a Johnnypump (1982) | Untitled (1981)
Basquiat est également célèbre pour ses triptyques. Dans une série qu’il produit dans les années 1982-1983, il associe ensemble panneaux, mots, pictogrammes, symboles, et couleurs. Certains segments sont parfois décorrelés des autres (du moins en apparence), et se distinguent par des couleurs tranchées ou par l’évocation de thèmes différents.
Les œuvres de Basquiat sont complexes et profondément uniques, aussi bien dans leur signification que dans leur processus créatif. Elles sont le fruit d’une infinité d’inspirations et de techniques artistiques différentes, du mélange de structures préétablies, de hasards, de destructions, de recompositions, d’effacements, de transparence. In Italian (1983) et Zydeco (1984) illustrent son talent exceptionnel de mise en relief des mots justement par ce travail de disparition et de reconstruction.
In Italian (1983) | Notary (1983) | Zydeco (1984)
Pour Basquiat, la matérialité, le support d’une œuvre compte tout autant que l’image qui y repose. Il renonce aux châssis traditionnellement utilisés pour tendre les toiles et y substitue des matières brutes comme des palettes de bois, des portes… Ce nouveau procédé donne naissance à des oeuvres “hybrides”, entre peinture et sculpture en bois, comme certaines de ses représentations de boxeurs afro-américains (Mohammed Ali, Joe Lewis, Jersey Joe Walcott…).

L’intérêt de Basquiat pour la boxe vient principalement du fait qu’il s’agissait du seul sport où l’homme noir pouvait affronter l’homme blanc sur un pied d’égalité. Rendre les coups. Se défendre. L'œuvre, vendue chez la célèbre maison d’enchères Christie’s pour 13,5 millions de dollars en 2008, est alors décrite ainsi :
"Les bras levés du boxeur (...) invoquent non seulement l'attitude victorieuse du vainqueur d'un match de boxe, mais aussi un doublement du poing levé du salut Black Power. Bien que ses bras soient levés victorieux, le boxeur de Basquiat semble également marqué par la vulnérabilité de son corps monolithique transpercé dans des zones qui exposent une grille squelettique abstraite, (...). À la fois vainqueur et victime, le boxeur qui domine le cadre de la peinture monumentale de Basquiat est une figure complexe en conflit."
un artiste engagé
À la croisée entre culture pop, histoire culturelle, témoignages, protestations, les créations de Basquiat se livrent à des commentaires critiques sur la marchandisation excessive de l’art et l’injustice sociale, particulièrement les discriminations raciales. Il s’inspire de grandes figures comme Malcolm X ou Sugar Ray Robinson, qu’il représente couronnées, espérant en faire des modèles pour la jeunesse.
une brève analyse : Irony of a Negro Policeman (1981) :

Dans son œuvre Irony of a Negro Policeman, Basquiat dénonce le caractère opprimant du système policier envers les afros-américains et l’ironie que certains d’entre eux l’alimentent en en faisant partie.
En effet, Basquiat est convaincu qu’un afro-américain investi dans la police participe forcément à alimenter un système oppressif envers sa propre communauté. Pour lui la police, gangrenée par le racisme, cherche à asservir les individus racisés. Basquiat considère qu’un policier noir, même armé d’un profond désir de justice, est nécessairement intrumentalisé par ses collègues blancs. C’est pourquoi ici, le policier noir est représenté comme une sorte de marionnette aux airs enfantins (et légèrement abrutis, oui on peut le dire). Son corps ne respecte aucune règle de symétrie (ni aucune règle du tout d’ailleurs), son visage est semblable à un masque, son expression figée, comme s’il n’était maître ni de ses mouvements, ni de ses pensées.
Cependant, même si le policier est tourné en ridicule, la critique de Basquiat s’adresse aux autorités, au système en général et non pas à l’individu afro-américain qu’il ne considère que comme un pion. D’ailleurs, le mot “pawn”, pion en français, est clairement affiché sur la toile. De nombreux critiques d'art se sont interrogés sur le choix de ce mot. En anglais, il est connoté au monde animal. Certains avancent que Basquiat a voulu montrer que l'État policier blanc de l'époque considérait si peu les afro-américains qu’il les voyait comme des bêtes dépourvues de conscience. Les traits du chapeau du personnage contribuent également à créer cette impression que le personnage est incapable de penser. Ils forment une sorte de cage, cage dont les pensées propres, personnelles du policier afro-américain ne peuvent s’échapper. Il est le simple pantin d’une institution raciste et a perdu toute forme de libre arbitre.
Les couleurs utilisées renforcent cette sensation: le rouge, le jaune, le blanc notamment au niveau du chapeau et du visage lui donnent presque un air clownesque. L’utilisation du noir et du blanc dans l’image est également intéressante. Le policier est dépeint telle une grande masse noire sur un fond blanc. Il devrait naturellement être une figure imposante, massive, dégager une impression d’autorité, de force. Pourtant, il n’en est rien. Notre regard est plutôt attiré par le fond clair, éventuellement par les écritures inscrites à côté du personnage. Le policier afro-américain est invisibilisé au profit du fond blanc, symbole de la domination du monde occidental blanc…
une grande histoire d’amitié: Basquiat x Warhol
L'année 1983 marque le début de la grande amitié et collaboration entre Basquiat et Andy Warhol. En 2 ans, ils réalisent plus d’une centaine d'œuvres ensemble, certaines reprenant d’anciens collages de Basquiat retravaillés à l’aide du procédé sérigraphique auquel Warhol l'a initié. Malheureusement, le duo s’éloigne après que leur exposition commune à New York suscite de mauvaises critiques. Warhol est notamment accusé d’exploiter Basquiat pour nourrir sa propre notoriété. Pourtant, pour Warhol, Basquiat était “un miroir reflétant ce qu'il a été, ce qu'il est et aurait rêvé d'être”. Malgré les accusations, ils nourrissent en réalité une profonde admiration mutuelle.
Le décès de Warhol en 1987 affecte terriblement Basquiat et marque un tournant dans sa peinture. Ses œuvres s’assombrissent et le thème de la mort, déjà récurrent dans son art, envahit ses toiles. Il élabore alors un nouveau type de représentation figurative. Ses œuvres alternent entre vacuité picturale et horror vacui (peur du vide), qui se traduit par une abondance de motifs venant envahir chaque coin de toile. Sa création la plus représentative de cette période est Riding with Death (1988), devenue l'icône de son propre décès, entraîné par une overdose alors qu’il était âgé de seulement 27 ans.
Dos Cabezas (1982) | Crocodile (1984) | Riding with Death (1988)
L'œuvre de Basquiat est spontanée, singulière, engagée, fascinante. En seulement 8 ans, il crée plus de 2000 œuvres différentes. En 2017, il devient l’un des artistes américains les plus chers de l’histoire. Son œuvre la plus onéreuse s’est vendue à 110,5 millions de dollars en à peine 10 minutes lors d’une vente aux enchères. Un paradoxe pour l’artiste qui, par lassitude de la marchandisation excessive de l’art, inscrivait parfois “Not for sale”, “Pas à vendre” en français, directement sur ses œuvres.
Si Basquiat puisait son inspiration dans les œuvres de Dali, Picasso, Goya, ou Warhol, il a apporté à l’art contemporain une perspective inimitable. Il continue aujourd’hui d’inspirer d’envoûter et d’inspirer de très nombreux artistes.
Et comme promis, voici la fiche récap !

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Sources
ARTE. (2020, 18 avril). Jean-Michel Basquiat | ARTE [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=zJNi_81aW1M
Élisabeth LEBOVICI, « BASQUIAT JEAN MICHEL - (1960-1988) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 16 décembre 2022. URL : http://www.universalis-edu.com.faraway.parisnanterre.fr/encyclopedie/jean-michel-basquiat/
Institut National de l'Audiovisuel Ina.fr. (2019). De SAMO© Ã Basquiat, lorsque l’art transcende le désespoir - Archives. . . Ina.fr. https://www.ina.fr/contenus-editoriaux/articles-editoriaux/de-samo-c-a-basquiat-lorsque-l-art-transcende-le-desespoir/
Jean-Michel Basquiat - Irony of a negro policeman. (2019). Jean-Michel Basquiat. http://www.jean-michel-basquiat.org/
Kane, A. (2017, 6 septembre). The story of SAMO©, Basquiat’s first art project. Dazed. https://www.dazeddigital.com/art-photography/article/37058/1/al-diaz-on-samo-and-basquiat
Ludovic Moreeuw, L. M. (2020). Jean Michel Basquiat. Moreeuw. http://www.moreeuw.com/histoire-art/jean-michel-basquiat.htm
Martet, C. (2019, 23 décembre). Basquiat en 10 œuvres. Le blog d’art contemporain de KAZoART. https://www.kazoart.com/blog/basquiat-en-10-oeuvres/
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