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La culture est-elle le remède anti-connards idéal ?

Dernière mise à jour : 10 août 2023

 

[Article rédigé par Lisa C.]


Tu te sens un peu paresseux ? Ça tombe bien, j'ai tout prévu pour la larve que tu es : tu peux retrouver cet article en format résumé-carrousel sur Instagram ou même sous forme de courte vidéo sur Tiktok (@pimpmyculture).


 

Déjà, avant toute chose, si tu le veux bien, faisons un petit jeu :

Est-ce que, là comme ça, tu dirais qu’effectivement, la culture permet de faire en sorte que les gens soient globalement moins des enfoirés ?

  • Oui, plus on est cultivé moins on est une grosse merde

  • Non, plus on est cultivé plus on est une grosse merde

  • Non, il n’y a pas de lien particulier entre culture & morale

(en moyenne bien sûr)

 
“La culture n’a jamais empêché quiconque d’être un salaud.”

Bon là comme ça, ça a l’air d’un sacré spoil, mais comme tu t’en doutes la question du lien entre culture et morale ne se solutionne pas vraiment en une petite punchline sortie d’une interview de Luc Ferry (ancien ministre de l’éducation & professeur agrégé de philosophie et de science politique).


En effet, nous avons quand même vachement tendance à faire des rapprochements entre la culture, l’éducation et les comportement “bons” ou “mauvais”. Alors que nous invoquons les premières comme remèdes miracles aux pensées et actes discriminatoires ou immoraux, Luc Ferry, nous balance ici que...

“La croyance dans la perfectibilité du genre humain grâce à l’éducation est la grande illusion des Lumières.”

Aïe. Là perso ça m’a fait mal au cœur parce que l’ami Luc, il est allé taper dans le fin fond de mes convictions intimes, celles qui structurent l’intégralité de ma pensée et de mes projets de vie (littéralement). Bon accessoirement, c'est aussi une opinion qui est vachement peu consensuelle. Du coup, en voyant Ferry affirmer que culture et morale sont décorrélées, ça m’a rendue extrêmement curieuse de découvrir les thèses philosophiques existantes sur le lien entre ces deux notions.


Alors, qu’en est-il réellement ? La culture n'a-t-elle aucune influence sur le caractère moral de l’homme ? Si elle ne le moralise pas, quel est alors son rôle, quelle est son utilité ? N’est-elle qu’un artifice dont la seule fonction serait de briller en société ? Eh benh c’est ce que nous allons voir ensemble ci-dessous.

 

Un petit sommaire pour que tu t'y retrouves plus facilement


 

Un poco de définitions

ui je sais ça a l’air chiant là comme ça mais promis c’est utile en plus c’est pas compliqué....


Tout d’abord, qu’est-ce que la culture ?


Avant toute chose et pour éviter toute confusion, définissons le mot culture. Le mot culture vient du latin cultura, qui désigne l'action de cultiver la terre, dérivé du verbe colere, habiter, (se) cultiver. Aujourd’hui, le mot culture admet plusieurs sens :


  • Au sens individuel, la culture est la somme des connaissances, des savoirs d’un individu qui forment son esprit, sa raison, sa sensibilité.

  • Au sens collectif, elle est l’ensemble des pratiques, des croyances et des connaissances propres à une communauté. Ces cultures (plurielles, car il en existe une infinité) ont leur propre identité, leur propre histoire (par exemple la culture italienne, la culture chrétienne, la culture populaire, la culture LGBT, la culture des fans de Pascal Obispo, la culture des gens très fiers d’avoir regardé des animés avant qu’ils arrivent sur Netflix, etc, etc).

  • Au sens universel, la culture “désigne tous les phénomènes et les productions humaines : la science, l'art, [...] l'éducation, les techniques, les rites et croyances, les institutions politiques, les représentations de la nature, l'organisation sociale, l'économie, etc. La culture évoque donc aussi la civilisation au sens large du terme, c'est-à-dire le long processus historique par lequel l'homme sort de l'animalité et développe des facultés qui lui sont propres.”


En fait ici, c’est l’idée de transcendance de la nature par la culture (c’est important) qui lie ces 3 définitions entre elles. La culture nous permet de :

  • Transformer aussi bien notre nature humaine (en acquérant de nouvelles connaissances)...

  • …Que notre nature au sens d’environnement (par la science ou la technique par exemple).


Fun fact : d’ailleurs, cette idée se retrouve aussi dans les dérivés du mot culture: le culturisme par exemple, c’est transcender sa nature physique en développant ses muscles bien au-delà de leur état naturel. C’est marrant hein.

 

Et maintenant, qu’est-ce que la morale ?


Bon benh ça c’est bien plus bourbier du coup pour cet article nous retiendrons une définition simple et un jour promis je te ponds un article complet sur le sujet (en plus c’est très fun mais ce jour n’est pas arrivé malheureusement). Bref ! La morale c’est :

“Du latin mores (pluriel de mos), mœurs, conduite, manière d'agir, genre de vie, habitude. La morale est un ensemble de principes de jugement, de règles de conduites relatives au bien et au mal, de devoirs, de valeurs, parfois érigés en doctrine, qu'une société se donne et qui s'imposent autant à la conscience individuelle qu'à la conscience collective.” La morale est en général prescriptive (elle oblige, recommande ou interdit) et normative (elle inspire nos jugements de valeurs en proposant des règles ou des maximes de conduite).”
 

La culture, le remède anti-connard idéal ?


Or, nous associons souvent l’état de nature à une espèce de neutralité morale (d’ailleurs parfois considérée comme “barbare”). Nous pouvons alors légitimement nous demander si la culture, puisqu’elle nous permet de transcender notre état naturel, de nous faire sortir de l'animalité, est ce qui permet le développement de la morale ? Le développement de la culture et de la morale sont-ils positivement corrélés ?


En d’autres termes bien plus putaclics, est-ce que la culture est le remède anti-connards idéal ? Entrons dans le vif du sujet !

 

“Mouais” - Emmanuel Kant


Alors, oui et non. Dans un premier temps, dans Réflexions sur l’éducation (1803), Emmanuel Kant (1724-1804) admet que la culture permet à l’homme de maîtriser sa nature (ses pulsions, ses réactions spontanées, etc) et de développer ses qualités proprement humaines. Ainsi, l’homme cultivé a davantage de contrôle, et a moins tendance à se laisser aller à ses petits péchés mignons, genre l’égoïsme ou l’agressivité.


Néanmoins, l’ami Kant insiste bien sur la nécessité absolue de distinguer progrès intellectuel et moral. Dans Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, il déclare que :

« [n]ous sommes hautement cultivés par l’art et la science. Nous sommes civilisés jusqu’à en être accablés, pour ce qui est de l’urbanité et des bienséances sociales de tous ordres. Mais il s’en faut encore de beaucoup que nous puissions déjà nous tenir pour moralisés. »

Même l’être humain “hautement cultivé” n’atteint pas, il semblerait, la moralité. L’homme peut éventuellement, par la culture, feindre une certaine forme de moralité (en respectant les règles de bienséance communes à tous), sans pour autant être véritablement animé par le bien moral. En somme :


pour Kant, ce n’est pas parce qu’on est cultivé, qu’on est moralisé.


✨ l'illustration littéraire ✨ - Piotr Petrovitch Loujine, dans Crime et Châtiment de Dostoïevski <3 (best roman EVER) : figure intellectuelle noble et parfaitement lisse de la société russe du XIXe siècle, nul ne maîtrise les codes sociaux de l’époque mieux que lui. Si bien que tous, au premier abord, lui prêtent une moralité qu’il ne possède absolument pas eh oui en fait c’est une grosse merde. En réalité, se cache chez lui une obsession de reconnaissance sociale et de domination sur les femmes qu’il juge vulnérables. Il tire une sordide satisfaction de sa position de “bienfaiteur”, à qui les femmes devraient leur “salvation”. Malgré son éducation et sa culture considérable, Piotr Petrovitch demeure, en dépit des apparences, très éloigné de toute forme de moralité. Il incarne parfaitement l’idée d’indépendance entre culture et progrès moral formulée par Kant.


Culture, éducation, moralité, progression humaine
Fédor Dostoïevski <3
 

“Comment ça mouais c’est pas mouais c’est NON vraiment pas et d’ailleurs c’est même l’inverse c'est la qui culture fait de nous des connards” by Jean-Jacques Rousseau qui l’a bien sûr formulé exactement comme ça


Notre cher Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) s’accorde avec Kant sur la nécessité d’une distinction claire entre culture et moralité. Et il va même plus loin. Enfin beaucoup plus loin même. Pour lui (tu connais sûrement sa fameuse déclaration issue de Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes) :

“L’homme est naturellement bon et c’est la société qui le déprave”.

Également dans Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau introduit le concept de “perfectibilité”, la capacité de l’homme à transcender sa nature. Grâce à cette faculté proprement humaine de “perfectibilité”, nous développons “successivement toutes les autres” : la réflexion, la critique, l’imagination, l’observation, la sociabilité, la sensibilité, le langage, les arts, le calcul… Néanmoins, malgré la connotation positive de l’étymologie du mot (du latin perficio, terminer, parfaire), la perfectibilité est un terme ambivalent (je ne sais pas toi, mais moi je m’étais fait duper). Elle “fait éclore nos vices et nos vertus, nos lumières et nos erreurs”.

Ainsi, la perfectibilité permet le développement des arts, des sciences, des savoirs… mais pas nécessairement le perfectionnement de l’homme.


⚠️ perfectibilité ≠ perfectionnement ⚠️


Et pour Rousseau c’est même le contraire : la perfectibilité est à l’origine de la “dépravation” de l’homme.


En fait, pour lui, l'hébétude intellectuelle de l’homme sauvage (non-cultivé) l’empêche à l’origine d’être bon, ou mauvais. Il est un être neutre, dont l’existence se déploie “en deçà de la sphère morale, dans l’expression innocente de ses tendances naturelles”. Il explique qu’à l’état sauvage, le comportement humain est régi par :

  1. l’amour de soi, à savoir la quête de sa propre satisfaction,

  2. la pitié, qui rend intolérable à ses yeux la souffrance d’autrui.

Or, la perfectibilité, à l’origine de l’enrichissement culturel de l’homme l’a éloigné de sa : “condition originaire dans laquelle il coulerait des jours tranquilles et innocents” [...]

“le sauvage ignore le trouble des passions qui trouvent, dans la vie civile et les raffinements de la conscience, le terreau propice à leur embrasement avec les effets délétères qui s’ensuivent”.

La faculté de perfectibilité de l’homme développe en lui une nouvelle rationalité, qui crée une distance avec la souffrance d’autrui et le fait peu à peu sombrer dans l’immoralité.


En somme, pour Rousseau :

"nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection".

La culture arracherait l’homme de son innocence naturelle et serait la cause de son immoralité.

“Peuples, sachez donc une fois que la nature a voulu vous préserver de la science, comme une mère arrache une arme dangereuse des mains de son enfant; que tous les secrets qu'elle vous cache sont autant de maux dont elle vous garantit, et que la peine que vous trouvez à vous instruire n'est pas le moindre de ses bienfaits. Les hommes sont pervers; ils seraient pires encore, s'ils avaient eu le malheur de naître savants.”

Jean-Jacques Rousseau, Discours sur les sciences et les arts (1750).


Jean-Jacques Rousseau et la nature humaine pervertie par la culture
mankind living its best life selon Rousseau
 

Toujours plus : (très) loin d’empêcher l’immoralité, la culture peut causer (ou plutôt être un outil de justification de) la barbarie, by Luc Ferry x Michou de Montaigne


Jusque-là… Il semblerait que Luc Ferry ait raison. “L’éducation morale n’a rien à voir avec l’éducation intellectuelle, ni avec la culture”. D’ailleurs, il cite quelques exemples.

“Le nazisme puis l’islamisme nous ont appris que l’on peut être cultivé et céder à la haine, au racisme, à la violence. [...] L’Allemagne était le pays le plus cultivé des années 1930, celui qui avait le système scolaire et universitaire le plus sophistiqué du monde, et elle est entrée de plain-pied dans la barbarie sans susciter de résistance notable de la part d’une majorité de ses élites cultivées…”.

En plus de nous offrir ce joli petit point Godwin, ces références illustrent bien la nécessité d’une distinction et l’absence d’un lien systématique entre être cultivé et être moral, comme expliqué par Kant. Peut-être illustrent-elles aussi la théorie de Rousseau qui induit que la culture a perverti la nature innocente de l’homme. Mais surtout, elles amènent à réfléchir sur la notion d’ethnocentrisme.


L’ethnocentrisme peut être défini ainsi : “comportement social et attitude inconsciemment motivée qui conduisent à privilégier et à surestimer le groupe racial, géographique ou national auquel on appartient, aboutissant parfois à des préjugés en ce qui concerne les autres peuples”. Poussée à l’extrême, la croyance en la supériorité des valeurs et pratiques culturelles auxquelles un homme adhère peut le mener à nier l’humanité de celui qui ne s’y conforme pas (t’as capté là on fait un petit twist sur la définition de culture, avant on parlait plutôt de culture au sens individuel puis universel, et là au sens collectif).

“Chacun appelle barbarie ce qui ne fait pas partie de ses usages”

explique Michel de Montaigne dans Essais. Les nazis en sont un exemple. Peuple pourtant cultivé, c’est justement l'inébranlable conviction de la suprématie de leur culture qui les a rendus immoraux et inhumains (entre autres facteurs bien sûr hein, non détaillés ici). C’est ici la vision que l’homme a de sa propre culture par rapport à celle des autres qui fait de lui un salaud (sacré euphémisme lol).

 

Nous sommes ici bien loin du postulat initial que je m’étais fait : non seulement la culture n’empêche pas l’immoralité, mais elle peut parfois servir à la “justifier” (je dis pas que c’est une justification valable hein). La culture ne nous rend donc pas systématiquement humains au sens moral du terme. Bien au contraire elle peut amplifier, susciter des comportements intolérants, discriminants, immoraux, et ségrégatifs. Ainsi d’après Rousseau, et la notion d’ethnocentrisme développée par Montaigne, la culture, bien loin de nous empêcher d’être des salauds, nous rendrait potentiellement salauds.


Mais alors, quel est le rôle de la culture si elle ne nous moralise pas ? N’est-elle qu’un artifice ? Un moyen d’impressionner ses semblables ? Ne devrions-nous pas alors l’abandonner pour retrouver notre tranquille et innocente hébétude intellectuelle ?

 

Devrions-nous renier “la” culture et retourner à notre paisible état de nature ?


"Benh, même si on voulait, on pourrait pas", by Merleau-Ponty


Pour le philosophe français Maurice Merleau-Ponty (1908-1961), impossible. Simplement parce qu’il est convaincu que chez l’homme, nature et culture sont indissociables.


Dans Phénoménologie de la perception, il explique qu’il est “impossible de superposer chez l’homme une première couche de comportements que l’on appellerait “naturels” et un monde culturel ou spirituel fabriqué.” L’homme est une créature hybride, chez qui nature et culture interagissent de façon fluide, constante.

“Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme, comme on voudra dire, en ce sens qu’il n’est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l’être simplement biologique, et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, [...] par une sorte d’échappement et par un génie de l’équivoque qui pourraient servir à définir l’homme.”

Les pratiques culturelles de l’homme lui paraissent si spontanées qu’il les croit, à tort, naturelles. Pour illustrer cette idée, Merleau-Ponty choisit l’exemple du baiser, qui d'après lui “n’est pas en usage dans les mœurs traditionnelles du Japon”. Pourtant, pour un français par exemple, rien n’est plus naturel que d’exprimer son amour par un baiser. Ce comportement pourtant culturellement acquis d'après M-P) nous apparaît paradoxalement inné. Parallèlement, ce qui est naturel se manifeste comme comportement culturel, selon les normes sociales en vigueur.


Ainsi, d’après Merleau-Ponty, l’homme ne peut pas renier son caractère culturel, puisque distinguer ce qui relève de la culture ou de la nature chez lui est impossible.

 

"Wowowo clairement pas", la culture = la survie, by Descartes


De son côté, René Descartes (1596-1650) s’accorde avec Merleau-Ponty sur le fait que l’homme est incapable de renier ses prédispositions à la culture. Il invoque cependant une autre raison : la culture est une nécessité pour la survie de l’homme.


Dans Discours de la méthode, il soutient que l’homme, à l’inverse de l’animal, ne dispose pas des facultés naturelles dont il a besoin pour subsister dans son milieu d’origine, sans le modifier. La culture, dont sont issus la technique et le travail, le rend apte à transformer son environnement pour l’adapter à ses capacités et à ses besoins.


L’homme se crée de nouvelles conditions de vie et devient “maître et possesseur de la nature”.

 

"Noooon c'est par la culture que l'homme s'humanise vraiment et ça, c'est beau", by Arendt & Hegel


Pour la philosophe Hannah Arendt (1906-1975), c’est précisément ce processus de transformation initié par l’homme qui le sort de l’animalité et le distingue des autres espèces.


Georg Wilhelm Friedrich Hegel (uhm) (1770-1831) parle “d’extériorisation de l’homme dans le monde”. L’homme remodèle la nature à son image et y intègre des œuvres créées pour, et par lui. Cependant, ces mutations de son environnement l’affectent lui aussi. En s’appropriant et en humanisant la nature, l’homme développe ses potentialités et s’humanise lui-même. À travers ce développement, il réussit à transgresser sa nature primitive et ses capacités originelles.


Ainsi le rôle de la culture n’est pas nécessairement de moraliser l’homme, mais c'est par elle qu’il s’humanise véritablement.

 

En somme, la culture est essentielle pour l’homme. Loin d’être un superficiel accessoire, c’est grâce à elle qu’il s’humanise et se distingue des autres espèces animales. C’est aussi grâce à elle qu’il est apte à transformer son environnement et d’y survivre. L’homme ne peut s’en détacher. Est-il alors condamné à l’immoralité ? N’existe t-il pas des conditions selon lesquelles culture et morale pourraient se réconcilier ?


René Descartes et la culture comme élément de survie
*doute*
 


Alors comment concilier culture et morale ?


Emmanuel Kant & le soutien de l'État


Revenons à Kant. Rappelons-le, même s’il insiste sur la distinction entre être moral et être cultivé, il admet que la culture permet à l’homme de développer ses qualités proprement humaines. En réalité, il va un peu plus loin que ça, et concède le fait que culture et morale peuvent être conciliables (il a dit qu’il fallait les distinguer car la corrélation n’est pas automatique mais cela n’empêche pas de dire qu’il PEUT exister une corrélation).


En effet, dans Réflexion sur l’éducation, il réaffirme le caractère nécessaire de la culture :

“L’homme a besoin de soin et de culture. La culture comprend la discipline et l’instruction… L’homme ne peut devenir homme que par l’éducation.”

Il est vrai que pour Kant, l’homme à l’origine n’a que des dispositions au bien, qui à l’état brut ne sont pas encore équivalentes au sens moral :

“l’homme doit d’abord développer ses dispositions pour le bien ; la Providence ne les a pas mises en lui toutes formées ; ce sont de simples dispositions, et il n’y a pas encore là de distinction de moralité”.

C’est par le développement de la culture, de l’éducation que l’homme transforme ces dispositions pour le bien en une véritable moralité. Ainsi,

“une bonne éducation est la source de tout bien dans le monde. Les germes qui sont dans l’homme doivent toujours se développer davantage ; car il n’y a pas dans les dispositions naturelles de l’homme de principe du mal. La seule cause du mal, c’est qu’on ne ramène pas la nature à des règles. Il n’y a dans l’homme de germe que pour le bien…”.

Autrement dit, sans éducation la nature est “laissée à elle-même", les dispositions au bien de l’homme restent à l’état de germe - et c’est ça qui cause le “mal” (puisque la nature n’as pas été “ramenée à des règles”). L’éducation doit donc,

  • Premièrement, discipliner les hommes pour les dépouiller de leur “sauvagerie”,

  • Deuxièmement elle doit les cultiver, afin de leur donner les aptitudes suffisantes à atteindre toutes les fins (tous les objectifs),

  • Et troisièmement, les initier à la prudence, qui permet d’acquérir les manières et la politesse nécessaires pour se faire apprécier.

Mais tout ça ne suffit pas : parce que l’homme peut bien être apte à atteindre tout type de fin, ça ne veut toujours pas dire qu’il en choisira une bonne (bonne au sens moral). D’où l’idée de distinction entre culture et morale. Ainsi, on doit veiller à ce que l’homme sache choisir une “bonne fin”.


Mais alors, comment ? Qu’est-ce qui permet à la culture d’effectivement mener à la moralité ? Pour Kant, la condition essentielle pour que la culture puisse mener l’homme vers la morale est le soutien de l’État. Elle nécessite l’appui de mesures politiques concrètes. Il déclare que :

« tant que les États consacreront toutes leurs forces à leurs visées expansionnistes vaines et violentes, tant qu’ils entraveront ainsi constamment le lent effort de formation interne du mode de pensée de leurs citoyens, leur retirant même tout soutien à cet égard, on ne peut s’attendre à aucun résultat de ce genre ».

Les États doivent guider l’homme vers la morale en adoptant eux-même un comportement exemplaire. C’est ainsi que culture et moralité peuvent coexister d'après Kant.

 

Michel de Montaigne & le relativisme culturel


Dans le cas de la culture au sens collectif, des conséquences légères (ou pas du tout) que peut provoquer l’ethnocentrisme, Montaigne préconise de faire preuve de relativisme culturel. C’est pour lui la clé vers la réconciliation entre cultures. Montaigne nomme “rationalité” les différents environnements culturels où chaque être évolue selon des traditions, des mœurs, des valeurs culturelles qui lui sont propres.

Nous ne pouvons pas juger d'une culture différente de la nôtre. À chaque tradition correspond une rationalité qui lui est propre. On ne peut donc pas juger une culture différente de la nôtre au sens où nous n'en avons pas la capacité. Cela reviendrait à ériger en valeur universelle la particularité de nos valeurs. On sombre alors dans l'ethnocentrisme et nous sommes aveugles à la spécificité de la différence culturelle.”

Le jugement de l’homme sur la culture d’autrui est nécessairement biaisé puisqu’il se base sur des postulats propres à une (sa) rationalité particulière.


Néanmoins, Montaigne ne s’interdit pas de juger pour autant.

“[...] si toute valeur est relative à un environnement culturel particulier, nous ne pouvons pas tout accepter au nom du relativisme culturel. [...] Nous ne pouvons pas tolérer toutes les pratiques et toutes les traditions de toutes les cultures pour cette seule raison que nous nous trouverions en défaut de moralité vis-à-vis de notre propre rationalité (cannibalisme, excision des femmes, …).”

Montaigne ne préconise pas un relativisme culturel “lâche”, prêt à tout tolérer au nom de la particularité des rationalités de chacun. D’après lui, l’homme doit “suspendre son jugement” pour se soumettre au regard de celui qu’il s’apprêtait à juger.

De cette façon, il devient apte à évaluer sa propre culture et à s’interroger sur lui-même. Ce raisonnement auto critique l’amène à questionner ses propres habitudes culturelles pour en déceler les failles (que souvent il voudrait condamner chez l’autre).


Ainsi, pour Montaigne, afin d'éviter les problèmes moraux que pose l’ethnocentrisme, toute culture doit commencer par se juger elle-même, par interroger le sens de ses pratiques afin d’en saisir la relativité.


 

Ainsi, la culture n’a pas de pouvoir surpuissant “anti-salaud”. Au contraire, lorsqu’elle n’est pas couplée avec un solide esprit critique, elle peut servir de justification aux pires enflures.


Cependant l’homme ne peut pas y renoncer : elle fait partie intégrante de sa nature. Elle est nécessaire à sa survie. Elle est pour lui un devoir moral. Se cultiver c’est transcender sa nature, se transformer soi-même, exploiter le champ infini de nos potentialités, développer des facultés uniques à notre espèce: se cultiver c’est devenir homme. Et pour celui qui sait être tolérant mais toujours critique, autocritique, humble, se cultiver c’est aussi devenir moral.


et c’est là toute la raison d’être de pimp my culture alors si tu partages cette philosophie n’hésite pas à nous donner de la force hihi


 

Le bonus citation sympa :

“La culture ce n'est pas avoir le cerveau farci de dates, de noms ou de chiffres, c'est la qualité du jugement, l'exigence logique, l'appétit de la preuve, la notion de la complexité des choses et de l'arduité des problèmes. C'est l'habitude du doute, le discernement dans la méfiance, la modestie d'opinion, la patience d'ignorer, la certitude qu'on n'a jamais tout le vrai en partage; c'est avoir l'esprit ferme sans l'avoir rigide, c'est être armé contre le flou et aussi contre la fausse précision, c'est refuser tous les fanatismes et jusqu'à ceux qui s'autorisent de la raison ; c'est suspecter les dogmatismes officiels mais sans profit pour les charlatans, c'est révérer le génie mais sans en faire une idole, c'est toujours préférer ce qui est à ce qu'on préférerait qui fût.”

Jean Rostand, Le droit d'être naturaliste (1963)



 

Et comme promis, voici la fiche récap !



 

T’as capté, Pimp my Culture se veut être une démarche participative.


Keske ça veut dire ? Ça veut dire qu’on considère qu’une bonne grosse réflexion ça ne se construit qu’en mettant plein d’idées et de thèses en confrontation : donc sens-toi libre d'ajouter ton petit caillou à l’édifice et de nous partager tes pensées, tes références & compagnie, on sera RAVIS de te lire !


Évidemment, si tu as des questions, n'hésite pas non plus <3.


En attendant, n’hésite pas à suivre Pimp my Culture sur Instagram et sur Tiktok (@pimpmyculture), on y parle de plein, PLEIN, de trucs différents du site :-).

 

Sources

  • Descartes, R. (2018). Discours de la méthode : (Annotated) (Editor’s Selection) (French Edition). Independently published.

  • Kant, E. (2012). Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique (French Edition).

  • Legros, M. (2020, 5 octobre). Luc Ferry : “La culture n’a jamais empêché quiconque d’être un salaud”. Philosophie Magazine. https://www.philomag.com/articles/luc-ferry-la-culture-na-jamais-empeche-quiconque-detre-un-salaud

  • Merleau-Ponty, M. (1976). Phénoménologie de la perception (Tel, 10088) (French Edition) (0 éd.). GALLIMARD.

  • Montaigne, M. D. (2020). Les Essais : édition originale et intégrale (French Edition). Independently published.

  • Philonenko, A. (2020). Emmanuel Kant : Réflexions sur L'Éducation (Bibliothèque Des Textes Philosophiques - Poche) by A. Philonenko (1993-01-31). Librairie Philosophique J. Vrin.

  • Rousseau, J. (2015). Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (French Edition). CreateSpace Independent Publishing Platform.

  • Rousseau, J. J. (2017). Discours sur les sciences et les arts (French Edition). CreateSpace Independent Publishing Platform.

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