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Pourquoi ta vie n’a aucun sens, by Albert Camus


 

[Article rédigé par Lisa C.]

 

Trigger warning: cet article te déclenchera peut-être une petite crise existentielle*…


(quelque-chose comme ça)


En revanche, si tu as déjà fait l’expérience de l’absurde (puisque c'est de ça dont il va s'agir ici), et que tu es depuis plongé dans les affres du désespoir et du non-sens, alors peut-être que (spoiler) la fin de l’article t’aidera un peetit peu à remonter la pente (ou pas du tout). Mais, comment ta vie pourrait-elle s’avérer vide de sens, alors que tes proches, ton travail, ton quotidien ne sont qu'épanouissement, paix et amour ? Et pourtant camarade, tout ça n’a pas plus de valeur qu’une latte de parquet usée par le temps ou que Valérie Pécresse dans un débat politique (heinquoi). Pourquoi ? Parce que la vie, ton existence entière, le monde dans lequel tu évolues sont purement, profondément absurdes (enfin pas tout à fait, mais ça, c’est expliqué dans la suite)...


*Je précise au cas où, Camus n’emploie pas ce terme de "crise existentielle" pour qualifier l’expérience d’absurde (expliquée dans l’article). C’est une image un peu caricaturale pour introduire le propos.



Ok glauque, mais déjà l’absurde, ça veut dire quoi ?


C’est vrai qu’avant de commencer à déprimer, mieux vaut tout de même savoir de quoi on parle. À l’origine, le mot absurde vient du latin absurdus, qui signifie “dissonant”. Aujourd’hui, il est employé pour qualifier ce qui est contraire à la raison, au sens commun, à la logique. Cette notion de comparaison est capitale: l’absurde existe par rapport à un système donné et structuré par des normes, des valeurs, des lois. Est absurde ce qui est désaxé par rapport au cadre donné. Chez Albert Camus, - et pour revenir sur la grossière approximation faite en introduction - ce n’est pas l’existence humaine ou le monde en eux-mêmes qui sont absurdes: c’est leur présence commune et leur incompatibilité. Alors que l’homme conscient de la finitude de l’existence cherche un sens à sa vie, il se heurte à l’absence radicale de sens du monde. Dans son essai Le mythe de Sisyphe (ouvrage que je citerai excessivement dans cet article), Camus explique: “l'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde”.


En fait, l’absurde, c’est la contradiction entre la quête de sens, le profond désir de compréhension de l’homme (“l’appel humain”, l’appel de celui qui a un besoin viscéral de donner un sens à son existence, à ses actions, à l’univers), et le caractère irrationnel du monde, son absence totale de sens et d’explications (“son silence déraisonnable''). D’un côté, “le désir profond de l'esprit [humain] [...] est exigence de familiarité, appétit de clarté [de compréhension, de sens]”. Cette exigence d’un sens est d’autant plus forte que l'homme a conscience de sa propre finitude. L’inéluctabilité de la mort interroge sur le sens du présent. De l’autre côté, bien que l’homme puisse observer et décrire les objets, corps et phénomènes dont le monde est composé, il est incapable d’y identifier une véritable raison d’être: “De qui et de quoi en effet puis-je dire : ''Je connais cela !'' Ce cœur en moi, je puis l'éprouver et je juge qu'il existe. Ce monde, je puis le toucher et je juge encore qu'il existe. Là s'arrête toute ma science, le reste est construction. [...] Je comprends que si je puis par la science saisir les phénomènes et les énumérer, je ne puis pas pour autant appréhender le monde. Quand j'aurais suivi du doigt son relief tout entier, je n'en saurai pas plus.” Si l’homme peut acquérir une connaissance partielle du monde, il ne peut pas en démêler le sens profond, ni même y discerner un sens à sa propre existence. Dans l’expérience qu’il fait de son environnement, un résidu irrationnel persiste, quelque chose qui lui échappe, un pourquoi qui reste sans réponse et qui entre en opposition avec son besoin substantiel de clarté. Même la science ne nous offre qu’une connaissance fragmentaire de ce qui nous entoure. Elle ne peut apporter une explication complète, claire, universelle aux questions posées par l’expérience de l’absurde.


En somme, tandis que l’homme est volonté de sens et de raison, le monde en est dépourvu. Cette dissonance, c’est l’absurde.



Uhm, ça me paraît pas super concret ton affaire...


Et pourtant ! Le sentiment, l’expérience de l’absurde, “au détour de n'importe quelle rue peut frapper à la face de n’importe quel homme” (même toi, oui): réalisation du caractère machinal de l’existence, impression que les jours sont bêtement subordonnés au lendemain, prise de conscience de l’étrangeté de la nature, de l’hostilité primitive du monde et autres crises d’adolescence, de la trentaine, de la quarantaine, tout ça pour quoi si on finit par mourir, pourquoi la vie, pourquoi la mort............... (un chouïa caricatural certes).


Plus concrètement, le sentiment d’absurde survient lorsque se produit une rupture avec l’automatisme du quotidien, avec le tissu d’habitudes acceptées sans questionnement préalable, la soumission aux rôles fixés par le monde. L’acceptation acritique des influences, des normes, de l’attendu, fixe les hommes à des tâches, commande leur comportement, leurs pensées, leurs attentes, leurs croyances, leurs idéaux. L’absurde, c’est la réalisation qu’il n’y pas une morale, mais une multitude: la morale religieuse et ses préceptes, mais aussi la morale conditionnée par les obligations sociales. Ces morales “de la qualité” impliquent des façons de “bien” vivre, “bien” penser, “bien” agir envers soi et les autres… Elles reposent toutes sur l’idée que la vie a un sens, et que ce sens permet de juger en bien ou en mal les actions des vivants. La mère, le conjoint, l’étudiant… la morale impose à ces rôles d’incarner la norme, de se plier aux contraintes qui font faire ce qui est considéré “bon”. Tout cela se fait dans l’illusion d’une liberté. “Je crois que je puis choisir d’être cela plutôt qu’autre chose. Je le crois inconsciemment, il est vrai. [...] Si loin qu’on puisse se tenir de tout préjugé, moral ou social, on les subit en partie et [...] on leur conforme sa vie.” Pour Camus, en plus de priver l’homme de sa liberté, ces injonctions sournoises font de lui un “coupable en puissance”. Chaque homme a déjà réprimé des désirs dont il n’aurait pas eu à rougir dans d'autres circonstances. Malgré cela, l’existence humaine vide d’interrogations donne l’illusion d’un sens, au moins pragmatique. L’expérience d’absurde, c’est quand l’homme s’éveille, et rompt, par un pourquoi, par une interrogation, sa passivité face au monde. “L’évidence quotidienne est tout à coup perçue comme insensée”. “Il arrive que les décors s’écroulent. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d’usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement le “pourquoi” s’élève et tout commence dans cette lassitude teinté d’écœurement.” A ce moment-là, l’habitude machinale qui distrayait, détournait l’homme de cette question du sens mais aussi de l’inéluctabilité de sa propre fin, de la séparation irrémédiable entre lui et l'éternité du monde, se brise. “Ce divorce entre l’homme et sa vie, l’acteur et son décor, c’est proprement le sentiment de l’absurdité.” L’illusion prend fin, et l’homme prend alors conscience de l’absence fracassante de sens de sa condition, la condition humaine.


Une autre forme d’habitude à laquelle l’absurde s’attaque, c’est le fait de vivre sur l’avenir. “Demain”, “quand je serai grand”, “quand j’aurai une situation stable”, “quand j’aurai suffisamment d’argent [...]”. L’homme qui se projette ainsi dans le futur est également bercé par cette illusion d’un sens pragmatique: ses actes présents sont effectués dans la perspective de résultats prochains (et de plus souvent initiés par les obligations morales évoquées en amont). Or, le prochain du prochain, le lendemain du lendemain du lendemain… C’est la mort. Le néant. La finalité ultime de l’existence est un non-sens par excellence. Qu’importe la vie menée, l’après reste toujours aussi inéluctable, et son inéluctabilité rend vains les agissements du présent. Par son caractère infini, la temporalité du monde est profondément inhumaine. L'homme y est étranger.


Mais les hommes aussi sécrètent de l’inhumain. Dans certaines heures de lucidité, l’aspect mécanique de leurs gestes, leur pantomime privée de sens rend stupide tout ce qui les entoure. Un homme parle au téléphone derrière une cloison vitrée; on ne l’entend pas, mais on voit sa mimique sans portée : on se demande pourquoi il vit. Ce malaise devant l’inhumanité de l’homme même, cette incalculable chute devant l’image de ce que nous sommes, cette “nausée” [...] c’est aussi l’absurde.” L’homme ne peut trouver réconfort chez son semblable. Ni l’étranger, ni le proche le plus intime, ne peuvent atténuer l’épaisseur et l’hostilité du monde. Au contraire. Leur caractère machinal, l’irréductible inaccessibilité de leur esprit renforcent le pourquoi venu éveillé la conscience de l’absurde.


Ainsi, confronté à l’absurdité de son quotidien, à l’étrangeté de l’univers, du temps, des autres, l’homme est saisi d’angoisse, de désespoir. “Commencer à penser, c’est commencer d’être miné”...... Être en quête de sens condamné à affronter le silence et l'irrationalité du monde, il est en proie à ses “passions déchirantes”. Seule une certitude persiste, celle de sa propre fin.


yeah

Sympa ! Et du coup, ça se soigne ?

Mmh… oui et non.


Face à l’absurde, Camus explore plusieurs scénarios. Premièrement, pour lui, “la suite [du mouvement de la conscience, de l’expérience de l’absurde], c’est le retour inconscient dans la chaîne, ou c’est l’éveil définitif. Au bout de l'éveil vient, avec le temps, la conséquence : suicide ou rétablissement. Le sentiment d’absurde est-il insupportable au point qu’il faille empêcher, par la mort, toute confrontation entre l’homme et le monde qui lui est étranger ?

“Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux: c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie.”

Sois rassuré, en réalité, Camus ne pense pas qu’une existence insensée commande logiquement le suicide. Au contraire ! Il soutient que la vie vaut la peine d’être vécue, et qu’après avoir pris pleinement conscience qu’il ne peut trouver de sens dans l’univers, c’est à l’homme lui-même de lui en donner un (mais on reviendra là-dessus plus tard). Donc tu l’auras compris, le scénario suicide… c’est un non (cool).

En-dehors du suicide donc, Camus envisage deux réponses possibles à l’absurde: l’homme peut soit tenter de refuser, de s’évader de sa nouvelle condition (c’est la voie du croyant), soit y consentir (c’est la voie du philosophe). Toutefois, “[i]l existe un fait d’évidence qui semble tout à fait moral, c’est qu’un homme est toujours la proie de ses vérités. Une fois reconnues, il ne saurait s’en détacher. Il faut bien payer un peu. Un homme devenu conscient de l’absurde lui est lié pour jamais.” Ni le philosophe ni le croyant ne se libèrent de l’absurde. Ils vivent, chacun différemment, avec cette réalisation nouvelle.

Le croyant, le philosophe & la révolte


La figure du croyant

Pour Camus, là où le philosophe poursuit une voie “affirmative”, le croyant en suit une “négative”. Ne supportant pas l’angoisse et le désespoir liés à la réalisation d’un monde insensé, il cherche à fuir sa condition. Il “fait un saut”, c’est-à-dire qu’il tire de l’expérience d’absurde une “vérité” qui n’en découle pourtant pas. Camus va même jusqu’à qualifier ce saut de “suicide philosophique”*, forme de “négation rédemptrice” de la réalité. Pour lui, le croyant divinise le “résidu d’irrationnel” de l’univers: ce qui dans le monde lui échappe n’est plus le fait des limites de la raison - qu’il pose comme obsolète, trompeuse, futile -, mais celui d’un être ou un dieu qui le dépasse. Cette projection dans l’être divin permet au croyant de surmonter l’angoisse et le désespoir du début. Dans la promesse d’une vie éternelle, dans la croyance en l’existence d’un dieu qui le dépasse, il trouve une consolation nouvelle. La mort, la finitude, à l’origine déclencheur de l’expérience d’absurde, devient raison d’espérer: elle est la promesse d’une existence plus pleine.


*Attention ici, malgré l’apparente virulence du terme, il ne faut pas y voir une insulte ou une moquerie de la part de Camus envers les croyants. Il précise “Je prends la liberté d’appeler ici suicide philosophique l’attitude existentielle. Mais ceci n’implique aucun jugement. C’est une façon commode de désigner le mouvement par quoi une pensée se nie elle-même et tend à se surpasser dans ce qui fait sa négation.”


La figure du philosophe: la révolte

A l’inverse, la posture philosophique implique le rejet de toute forme d’évasion, de détournement du sentiment d’absurde. Toutefois, Camus ne se fait pas non plus grand apôtre du rationalisme. “Il faut encore le dire, le raisonnement que cet essai poursuit laisse entièrement de côté l'attitude spirituelle la plus répandue dans notre siècle éclairé* : celle qui s'appuie sur le principe que tout est raison et qui vise à donner une explication au monde. [...] La plus pathétique de ces démarches est d'essence religieuse ; elle s'illustre dans le thème de l'irrationnel. Mais la plus paradoxale et la plus significative est bien celle qui donne ses raisons raisonnantes à un monde qu'elle imaginait tout d'abord sans principe directeur.” Camus critique la vision qui soutient que la raison permettra - à terme - d’éclairer l’homme confronté à l’absurde en finissant par trouver dans le monde un sens profondément rationnel à l’existence humaine. Pour lui, il s’agit là d’une “attitude spirituelle”, “irrationnelle”, qui prend cette fois la forme (paradoxale) d’une foi en la raison.


Attention cependant, Camus ne fait pas là une critique stricte de la raison. “Il est vain de nier absolument la raison. Elle a son ordre dans lequel elle est efficace. C'est justement celui de l'expérience humaine. C’est pourquoi nous voulons tout rendre clair. Si nous ne le pouvons pas, si l’absurde naît à cette occasion, c’est justement à la rencontre de cette raison efficace mais limitée et de l’irrationnel toujours renaissant.” Il considère seulement que la raison ne peut agir qu’au sein d’un champ d’exercice limité. Ce champ, ce sont les limites de l’homme absurde, qui, conscient qu’il n’a pas accès aux choses en elles-mêmes, indépendamment de lui, n’en propose qu’une interprétation. Cette idée fait écho au perspectivisme de Nietzsche, pour qui l’homme est incapable d’avoir accès à une réalité objective émancipée de sa propre appréciation subjective, d’un contexte culturel, d’une situation précise. “En psychologie comme en logique, il y a des vérités mais point de vérité.” En somme, toute vision est une interprétation singulière, jamais une vérité ou un savoir objectif et universel. “L'absurde, c'est la raison lucide qui constate ses limites.” Le champ des limites de la raison, c’est donc l’expérience humaine.

Et justement, c’est là que ça devient un peu plus joyeux. Si l’homme rompt avec son existence passive et machinale, s’il refuse de se détourner de l’absurde en faveur des croyances qui pourraient lui servir de refuge, s’il réalise l’impuissance de la raison à trouver un sens à sa vie et au monde… Alors l’exercice de sa raison sort du champ de l’objectivité pour celui de l'interprétation et de la création.


Ce nouveau champ où s’exerce la raison créatrice est profondément libérateur. Premièrement, parce qu’aux yeux du philosophe, les morales qui lui étaient jusque-là imposées perdent, en même temps que l’existence, leur sens. Le monde, la vie étant irrationnels, les normes, les valeurs et les contraintes imposées sont elles aussi vidées de leur substance. Alors attention, il ne faut pas ici tomber dans une analyse grossière qui consisterait à croire que l’absurde rend les pires excès tolérables. Affirmer que l'absurde permet tout n'équivaut pas à dire que l'absurde “recommande le crime, ce serait puéril”. L'absurde “ne délivre pas, il lie. Il n’autorise pas tous les actes. Tout est permis ne signifie pas que rien n’est défendu.” Malgré son rapport au monde différent, l’homme absurde n’en est pas coupé. Simplement, il “rend leur équivalence aux conséquences des actes” et “restitue au remords son inutilité”. L’absurde libère l’homme d’une vaine culpabilité afin qu’il puisse se tenir au plus près de ses désirs, au plus près de l’existence, et de son propre sens moral. Ensuite, puisque plus rien n’a de sens, les principes autrefois employés pour distinguer et hiérarchiser ce qui compose la vie et le monde ont eux aussi perdu le leur. D’où l’exemple un peu extrême en introduction: avec l’absurde, tout n’est qu’empreint d’une “divine équivalence qui naît de l’anarchie [...] La pétale de rose, la borne kilométrique ou la main humaine ont autant d'importance que l'amour, le désir ou les lois de la gravitation.” Mais c’est précisément grâce à cette anarchie naissante que l’homme peut attribuer aux objets une “attention privilégiée”, et en réorganiser la hiérarchie d’un œil neuf, conscient. Puisque rien n’a de sens en dehors de celui que confère l’expérience humaine, le sens peut renaître en tout.



Tout cela, c’est ce que Camus appelle la révolte. “Vivre, c'est faire vivre l'absurde. Le faire vivre, c'est avant tout le regarder... L'une des seules positions philosophiques cohérentes, c'est ainsi la révolte. Elle est un confrontement perpétuel de l'homme et de sa propre obscurité. Elle remet le monde en question à chacune de ses secondes.” L’homme conscient de l’absurde ne s’épuise plus à chercher un sens à son existence et au monde: c’est lui qui le réinvente. Mais cette renaissance n’a pas supprimé l’absurde: l’univers est encore profondément irrationnel. Ce qui a changé, c’est le rapport que l’homme entretient avec lui: l’angoisse et le désespoir qu’il éprouvait face au silence insensé du monde laissent place à cette possibilité créatrice et au projet joyeux d’épuiser tout ce qui lui est donné de vivre et de penser.

“Sentir sa vie, sa révolte, sa liberté, et le plus possible, c'est vivre et le plus possible. Là où la lucidité règne, l'échelle des valeurs devient inutile... Le présent et la succession des présents devant une âme sans cesse consciente, c'est l'idéal de l'homme absurde.”

En fait, avec tout ça, Camus défait l’opposition classique entre la raison objective et la croyance, puisque selon lui, l’homme ne peut faire autrement que de croire. L’expérience de l’absurde lui fait réaliser que toute pensée naît d’une interprétation. Toutefois, à l’inverse de sa croyance initiale, passive et creuse, la croyance de l’homme devenu philosophe est consistante. C'est pourquoi lorsque Camus critique la croyance religieuse, il ne lui oppose pas une vérité rationnelle et universelle. D’ailleurs, il n’affirme jamais être capable de prouver que les religions ont tort, que Dieu n’existe pas ou qu’il n’y a rien après la mort. “L’absurde ne mène pas à Dieu”, mais “il ne l'exclut pas”. Toutefois, pour Camus, croire qu’il n’y a rien après la mort permet à l’homme d’être au plus près de sa vie et de ses éléments terrestres.

Ainsi, le philosophe trouve dans l’absurde la force de penser autrement et une nouvelle façon de vivre. Dans chaque pensée, chaque désir qu’il sent en lui, il éprouve la force de son existence. Il ne se conforme plus aux normes et morales qui le contraignaient à “bien” vivre, “bien” agir, “bien penser”: il cherche maintenant à vivre plus, à épuiser tout ce qui lui est donné de vivre. Alors qu’au moment de la réalisation de l’absurde le philosophe était submergé par ses “passions dévorantes”, par l’angoisse, par la déprime, il y puise dorénavant “la plus pure des joies, qui est de sentir et de se sentir sur cette terre”. Je vous avais dit qu’il y avait du mieux à la fin...


"Je tire de l'absurde, dit Camus, trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté, ma passion. Par le seul jeu de ma conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort - et je refuse le suicide”.

Conclusion:


“Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile: Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier.”

Alors, j’avais écrit une explication en guise de conclusion, mais finalement cette citation de L’étranger illustre si parfaitement la philosophie de l’absurde de Camus que je trouve préférable de ne pas en faire le commentaire (ou alors j’avais juste la flemme et vous ne pourrez jamais vérifier, qui sait). Un petit tips d’interprétation tout de même: elle ne représente pas à elle seule l’intégralité de ce qui a été développé dans l’article. Elle exemplifie plutôt un stade précis de l’expérience d’absurde, celui après la réalisation du non-sens du monde et de la rupture avec le quotidien, mais avant le développement complet de la posture du philosophe et de son caractère créateur, libérateur et passionnel.

 

Sources

  • ABSURDE : Définition de ABSURDE. (2021). CNRTL. https://www.cnrtl.fr/definition/absurde

  • Camus, A. (1972). Caligula suivi de Le Malentendu (French Edition) (0 éd.). French and European Publications Inc.

  • Camus, A. (1985). Le Mythe de Sisyphe [FRE-MYTHE DE SISYPHE][French Edition][Paperback]. EditionsGallimard.

  • Camus, A. (1970). L’Etranger (Collection Folio, 2) (French Edition) Publisher : Gallimard. Gallimard.

  • Camus, A. (1986). L’Homme Révolté (Folio Essais Series : No 15) (French Edition). Mass Market Paperback. (2021). Gallimard.

  • Corbic, A., « L'« humanisme athée » de Camus », Études, 2003/9 (Tome 399), p. 227-234. DOI : 10.3917/etu.993.0227. URL : https://www.cairn.info/revue-etudes-2003-9-page-227.htm

  • Darcis, D., « L'absurde ou la condition humaine », ThéoRèmes [En ligne], Philosophie, mis en ligne le 10 mars 2017, consulté le 29 août 2021. URL : http://journals.openedition.org/theoremes/1112

  • Flores d'Arcais, P., « L’absurde et la révolte : Albert Camus, philosophe de la finitude » dans Esprit, [En ligne], Albert Camus, l'absurde et la révolte, oct. 2013.


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