[Article rédigé par Eva Muller]
Tu te sens un peu paresseux ? Ça tombe bien, j'ai tout prévu pour la larve que tu es : tu peux retrouver cet article en format résumé-carrousel sur Instagram ! ou même sous forme de courte vidéo sur Tiktok (@pimpmyculture).
Déjà, avant toute chose, si tu le veux bien, j'aimerais bien savoir...
Si je te parle de plumes en tant qu'accessoire, à quoi tu penses en premier ?
Aux chapeaux hyper extras des dames de la haute société
Aux danseuses des music-halls et à leur "truc en plume"
Aux tatouages un peu clichés
Aux petits bandeaux des années 1920
Alors, comme tu l’as vu dans le titre, dans cet article, je vais te parler… de plumes.
Et là tu te dis mais wtf quel est l’intérêt de me renseigner sur un sujet aussi spécifique ?
Eh bien parce que la plume, si on l’associe aujourd’hui souvent à la paix, la liberté et à des tatouages un peu clichés (dsl si vous avez un tatouage de plume pas de jugement ici promis……….), est en réalité un accessoire qui en dit long sur l’évolution de la condition féminine à travers les âges. Eh ouais. (tu vois si t’as un tatouage de plume au lieu de dire ouais nan c’est pcq je vais là où m’emmène le vent, tu pourras dire ah mais c’est pour illustrer comment l’historicisation d’un objet du commun permet d’engager une réflexion plus globale sur des thématiques sociales complexes han) (ça a plus de gueule il faut le dire).
Mais comment ? Pourquoi ? En fait, depuis la fin du XIXe siècle, la plume squatte le crâne des femmes (mdr pourquoi cette tournure a l’air si violente ?). Mais bien sûr, ses usages varient, et surtout, semblent fluctuer selon les tendances sociales et politiques des différentes époques. Par conséquent, étudier la plume, c’est aussi s'intéresser aux changements de perception du rôle des femmes, de leur condition, à la mode, aux logiques de distinction des classes supérieures, ou encore au monde du spectacle.
Du coup, une grande question s’impose :
La plume, que l’on connaît aujourd’hui comme un symbole de liberté, était-elle déjà le reflet de tentatives "d’émancipation" ?
Ou bien signifiait-t-elle au contraire complètement autre chose pour les femmes de l’époque ?
Promis, je ne te ferai pas apprendre une ribambelle de dates ici… Mais l'histoire rime avec périodisation (bon ok ça rime pas vraiment) donc on va diviser tout ça en trois :
la 'Belle époque' (1880-1914),
les 'Années folles' (1919-1929),
et la suite (pas encore de nom cool pour la période 1929-1939 malheureusement)
Alors, perso, le premier truc qui m'a frappée quand je me suis penchée sur le sujet ô combien intéressant de la plume, c'est de le retrouver à la fois tant sur la tête des bourgeoises de bonne famille et que sur le corps de sulfureuses danseuses. Autant te dire que les points communs entre ces deux groupes ne sont pas franchement habituels…. Voyons donc quels sont plus précisément les usages différenciés (ou non ?) qu’ils en ont, et leur évolution à travers les années.
Un petit sommaire pour que tu t'y retrouves plus facilement
La Belle époque : la plume dans tous ses états (1880-1914)
La Belle époque : la plume dans tous ses états (1880-1914)
La plume-bourgeoise, un accessoire ostentatoire
Pendant la Belle époque, la plume est partout et on en trouve de toutes sortes : des plumes de toutes les couleurs, de toutes les formes, provenant de tout type d’oiseaux, et parfois même associées à des parties entières du corps de ces pauvres bêtes comme des têtes, des pattes ou des ailes (ouais je sais).
Et les hommes dans tout ça ? Poulailler or not poulailler ? Sans grande surprise, pendant que leur dulcinée risquait d’avoir des crampes au cou, ils se la jouaient bien plus safe avec des costumes unis et très sobres (dès la seconde moitié du XIXe siècle). Mais problème : avec ces accoutrements dépouillés, comment montrer qu’on est riche maintenant ?? Facile : on expose sa chère compagne, et on lui colle des oiseaux sur le chapeau. Eh oui, à l'époque, une plume ça coûte cher, surtout quand elles viennent de tout petits oiseaux comme les lophophores. Plus elle est rare, plus ça montre que le ménage est riche : la plume se popularise donc et devient un objet ostentatoire et un marqueur social.
Attention, toutefois, cette mode ne fait pas l’unanimité : elle est accusée par certains d’être un peu too much (sans blague) et ils s’en donnent à coeur joie niveau caricatures.
De même, au théâtre, certains messieurs intellos ne sont pas vraiment ravis d’avoir le nez chatouillé par les plumes des voisines alors qu’ils étaient venus chialer devant Roméo et Juliette.
« N’est-il pas possible de supprimer au théâtre ces immenses chapeaux couverts de plumes, surchargés d’ornements, qui font le désespoir des personnes placées derrière vous ? » Le Petit Echo de la Mode, 30 avril 1905).
Enfin bon, malgré les critiques, comme souvent, cette mode bourgeoise est reprise dans les autres sphères de la société. Rapidement, les Grands magasins permettent à ceux et celles qui le souhaitent de rivaliser avec les plus riches et de se la péter tout autant. Les fabricants l’ont bien compris : en plus des chapeaux hyper chers, ils proposent des versions plus cheap faites avec du plumage d’oie ou même avec des fleurs ou autres herbes (franchement de loin on n’y voit que du feu). Bingo, nos petites plumes sont alors moins chères et peuvent être portées par un max de femmes.
Pour te donner une idée, vers 1920 il est courant de trouver des chapeaux entiers à 25 ou 40 francs alors qu’une plume d’autruche seule coûte entre 10 et 39 francs, et un oiseau-paradis entier (le top du top) entre 390 et 590 francs*. Dans certains magazines, on trouve même des petits kits de DIY pour customiser son chapeau soi-même : un bouchon de liège, des plumes de poule, un peu d’huile de coude et c’est tipar.
Cette démocratisation laisse la porte ouverte à de nouvelles utilisations de la plume comme accessoire : elle est alors reprise dans les salles de spectacles parisiennes et orne le corps des danseuses.
*(oui ce sont plutôt des données des Années folles mais on n'a pas trouvé de donnée fiable pour la Belle Époque)
La plume-spectacle, un accessoire séducteur
Même objet donc, mais on n’est plus du tout sur la même utilisation. Effectivement, mettre des plumes sur la tête c’est bien… Mais pourquoi s’en contenter quand on peut en mettre PARTOUT ? Eh oui, maintenant, on en veut aussi sur le corps. On cherche plutôt ici la profusion et la frivolité (enfin pas trop quand même, la police des mœurs rôde toujours, il ne faudrait pas choquer les bons samaritains).
Mais alors comment un même accessoire a pu être porté à la fois par des bourgeoises et des danseuses, en dépit de leurs mœurs un petit peu beaucoup opposées ? On peut émettre plusieurs hypothèses :
l’effet de mode (la plume est partout : les mettre sur le corps des danseuses les place dans l’ère du temps),
un jeu sur les désirs des hommes bourgeois (on fait surtout les spectacles pour eux et on peut imaginer qu’ils sont tout émoustillés devant la vision d’un accessoire qu’ils connaissent détourné de la sorte)
mais d’autres pistes sont possibles, à toi d’y réfléchir !
La question reste également ouverte quant à la dimension « liberté » de la plume chez ces danseuses : est-ce que pour elles la plume était un accessoire allant dans le sens d’une certaine émancipation ? Laisse-moi te faire un petit tableau pour/contre.
POUR (la plume est un accessoire d’émancipation) | CONTRE (la plume n’est pas un accessoire d’émancipation) |
- Le corps peut se dévoiler - Participation à la construction d’une figure féminine loin des normes imposées de l’épouse - Les plumes leur permettent de s’imposer dans l’espace (je t’assure ça prend de la place) | - On n’est pas sûrs qu’en réalité les danseuses choisissent leur costume - Sexualisation ++ qui passe en partie par les plumes |
Quoi qu’il en soit, il est encore difficile de parler de “plume liberté” lors de la Belle Époque : chez les bourgeoises on est plutôt sur de l’ostentation/richesse et chez les danseuses sur de la légèreté/séduction. Dans les deux cas des stéréotypes sont créés et l’altérité des femmes est renforcée (ouais on a quand même le choix entre la gentille épouse bibelot et la diablesse séductrice, s.u.p.e.r)
Cette « belle » époque propice à toute cette profusion plumaire prend rudement fin en 1914, début de la Première Guerre mondiale.
Que devient la plume et que nous dit-elle de l’évolution de la condition féminine après la guerre ?
Le choc de la Guerre et la plume liberté (1914 - 1929)
De l’ostentation à la sobriété : quand les femmes apparaissent derrière leurs plumes
Bon alors, déjà tu te doutes bien que même si la 1ère Guerre mondiale touche de manière très disparate les différentes classes sociales, avoir un chapeau super extravagant tout plein de plumes dans ce contexte, c’est top pour personne. C’est pas vraiment le mood quoi.
On passe donc à des couvre-chefs beaucoup plus simples : soit les plumes sont plus discrètes, soit on les enlève carrément. Les chiffres sont clairs : 93 mentions de la plume dans la presse féminine entre juillet 1914 et 1918 contre 535 entre 1895 et 1900 (bien que ces chiffres soient à prendre avec précaution du fait de la polysémie du mot « plume » qui influence les statistiques – on fait ce qu’on peut).
Dessin tiré de La Mode illustrée, 21 mai 1916 // Dessin tiré de La Mode illustrée, février 1916
En parallèle, beaucoup de femmes sont à l’époque vraiment badass : pendant que leur mari / fils ou leur cousin Bertrand est au front, elles subviennent à leurs besoins toutes seules et participent à l’effort de guerre. Certaines prennent goût à cette indépendance et n’ont pas trop trop envie de l’abandonner quand la paix est signée en 1918. ATTENTION on ne parle toujours pas ici d’émancipation (le droit de vote ne leur est toujours pas accordé, les lois natalistes pour repeupler le pays les empêchent de disposer librement de leur corps avec des méthodes de contraception, par exemple) maiiiis il y a de l’espoir.
Et cet espoir, dans la mode, est bien visible.
Années 20, nouvelles modes, femmes badass… Tu l’as peut-être deviné, on va parler de la mode de la « garçonne » ! Certaines remettent en cause les rapports de genre et la domination masculine qui leur est imposée. Elles adoptent donc des vêtements aux coupes plus fluides, plus androgynes, des coupes de cheveux courtes… Et la plume suit l’évolution de ces nouvelles silhouettes. Robes, sacs, éventails, cheveux… Elle se fait sobre sur les tenues du jour, mais plus extra sur les tenues du soir. Et surtout, elle ne reproduit jamais les silhouettes de la Belle Époque, parce que bon, maintenant, c’est un peu tout ce qu’on veut éviter.
Fini donc les cadavres d’oiseaux en tout genre (nos prières ont été entendues).
On a donc ici une troisième réappropriation de la plume, bien différente des deux autres cas étudiés. Rappel des 2 types de plumes vus jusqu’ici :
la plume-bourgeoise, qui est un accessoire ostentatoire
et la plume-spectacle, qui relève plutôt d’un accessoire séducteur.
Cette fois, la plume semble revêtir la signification qu’on lui connaît aujourd’hui : la liberté. Elle est en effet utilisée dans un contexte où les femmes tentent de s’émanciper de la tutelle masculine en renversant les normes de genre.
La plume n’est plus imposante, parce que les femmes cherchent à devenir imposantes par elles-mêmes.
Elles cessent de se dissimuler (d’être dissimulées ?) derrière les accessoires, et surtout de servir de preuve de richesse de leur mari.
La plume les accompagne dorénavant sans les cacher et met en valeur leur nouvelle silhouette (même si cette mode n’est pas adoptée par toutes, mais principalement par les jeunes femmes citadines de classe moyenne à aisée).
Apogée du music-hall, apogée de la plume-spectacle
Mais ! Chères danseuses, ne vous en faites pas, on ne vous a pas oubliées. Pour vous c’est l’apogée : les music-halls se développent +++, notamment à Paris, et la plume suit cette évolution en s’inscrivant dans l’univers du cabaret. Le mouvement débuté à la fin du 19e siècle s’affirme et les corps se dénudent plus que jamais. Les plumes sont alors utilisées pour les parer, mais aussi pour consolider l’image extravagante des music-halls : tout est excès, y compris la plume.
La plume spectacle s’ancre alors dans ce monde et en devient un symbole durable. Elle participe à la construction du stéréotype de la danseuse de cabaret, et on la retrouve dans de nombreux numéros, comme par exemple l’effeuillage. (les danseuses se déshabillent progressivement et cachent leurs parties intimes par des accessoires plumesques, genre des éventails). Dès les années 1920, notre petite plume devient donc incontournable sur scène et est portée par les plus célèbres des vedettes (coucou Joséphine Baker et Mistinguett).
On retrouve ici ce qu’on a vu :
Image de femme libérée qui dispose de son corps
Sexualité plus libre ? Seules les parties intimes sont cachées par des plumes
Plumes +++ dans le dos : dimension théâtrale, carrure imposante
Finalement, on pourrait presque reprendre le tableau qu’on a fait précédemment pour questionner la dimension liberté : bon, comme pour les danseuses de la Belle époque, la plume est utilisée pour sexualiser et plaire au regard masculin, tout ça tout ça. Le changement se situe plutôt dans les imaginaires collectifs. En soit l’usage de la plume ne change pas tellement, c’est toujours un accessoire scénique qui a pour but de renforcer la sensualité de celles qui la portent.
En revanche, il y a beaucoup moins de censure donc les corps se montrent davantage et la plume les couvre moins. Cette libéralisation des corps est interprétée comme une expression de la libéralisation des mentalités : les danseuses sont associées aux idées des « Années folles » et deviennent des idoles pour certaines femmes en quête de liberté. Ces vedettes prennent alors la place des bourgeoises dans la création de nouvelles tendances (les danseuses are the new influenceuses de l’époque), puisqu’elles sont en adéquation avec ce mouvement émancipateur qui recherche le plaisir, la liberté, plutôt que la bienséance et le luxe.
Les deux univers (bourgeoisie et spectacle), foncièrement opposés avant la Guerre, semblent alors se rejoindre et ne former plus qu’un, union visible à travers la plume : dans les deux milieux, une “plume-liberté” apparaît :
d’un côté, elle accompagne les bourgeoises qui remettent en question les normes de genre imposées aux femmes de l’élite,
de l’autre, elle pare les danseuses qui participent à la diffusion d’une image plus libérée des femmes.
En gros, l’usage reste différencié, mais l’intention est la même.
Néanmoins, ces évolutions en faveur d’une plus grande liberté pour les femmes (loin d’être atteinte) semblent liées aux « Années Folles ». Qu’en reste-t-il une fois cette parenthèse terminée ?
Disparition de la plume bourgeoise, ancrage de la plume spectacle (1929 - 1939)
La “Grande Dépression”, crise économique de 1929 sonne comme un retour à la réalité, comme la fin de cette parenthèse de plaisir et de liberté des « Années folles ». Les discours conservateurs, déjà critiques vis-à-vis du mouvement d’émancipation des femmes, reviennent en force et prônent l’idéal d’une femme discrète, soumise à son mari, dont le rôle est de s’occuper de son foyer. L’historienne Christine Bard appelle cette période la « revanche patriarcale ».
De même, les music-halls, particulièrement associés à cet imaginaire des années 1920, connaissent un léger déclin. Le music-hall a construit son succès sur des nouveautés constantes : le spectateur en sortait donc toujours et émerveillé. Problème : il devient à un moment difficile de surenchérir la nouveauté et le spectateur se lasse, surtout quand il peut faire d’autres activités plutôt cool genre aller au ciné manger des pop corns (oui oui ça existait déjà).
Puis bon c’est la crise pour tout le monde, pas sûr que payer pour voir un clown jongler sur un monocycle entre deux numéros d'effeuillage soit la priorité financière du moment...
Avec le début de la Seconde Guerre mondiale c'est encore pire. Beaucoup de salles doivent fermer et sont par la suite placées sous un contrôle étatique plus étroit.
Or, nous avons vu que la plume avait fait l’objet de réappropriations, et était particulièrement liée à ces mouvements émancipateurs : la fin de cette parenthèse voluptueuse signe-t-elle aussi la fin de la plume comme accessoire féminin ?
Recul des libertés, retour de la plume bourgeoise ostentatoire ?
Si tu as bien suivi le schéma on commence par…… la plume bourgeoise ! Tu t’en doutes, ces nouveaux discours conservateurs ne sont pas trop trop en faveur d’un modèle féminin libéré des normes de genre, des stéréotypes et compagnie. Ce qu’ils veulent, c’est retourner 30 ans plus tôt, finalement (ouais désolé nous aussi on pensait qu’on en avait fini avec la basse court portative)... La presse de l’époque est on fire : la plume doit, selon beaucoup de magazines, retrouver son côté luxueux, ostentatoire, et y on trouve beaucoup de mentions de la mode d’autrefois.
On ne peut s’empêcher d’y voir le reflet de ce retour en arrière : le nouvel usage, plus sobre, plus discret de la plume qui accompagnait les femmes en quête de liberté des années 1920 disparaît, tandis que les plumes extravagantes qui accompagnaient des femmes soumises à leur mari réapparaissent. Les silhouettes perdent leur côté androgyne, les cheveux courts repoussent. Là encore, la plume suit les fluctuations sociales.
Heureusement pour ces pauvres oiseaux, la plume semble perdre de son importance dès la fin des années 1930 et disparaît au cours des années suivantes. Encore une fois il est assez difficile d’expliquer ce phénomène, mais plusieurs hypothèses peuvent être émises :
Hypothèse 1 : la plume, symbole d’extravagance puis de liberté, n’a plus sa place dans cette image de femme au foyer discrète qui se construit alors : contrairement à la Belle époque, il n’est plus attendu de la femme qu’elle serve de porte-étendard de la richesse de son époux, mais qu’elle s’efface pour assurer au mieux les tâches domestiques. Et il y a quand même mieux que les giga plumes pour être discrète en société.
Hypothèse 2 : de la même façon, la plume spectacle devient le symbole d’une femme bien loin des normes attendues pour les épouses de bonnes familles : elles ne souhaitent donc pas s’y associer, d’où la disparition progressive de cet accessoire. Ben ouais vu que la plume est maintenant associée à l’image des danseuses (les nouvelles influençeuses rappelle-toi), Marie-Muriel n'a peut-être pas trop envie d’utiliser le même accessoire et donc d’avoir cette image sulfureuse alors qu’elle veut juste aller faire sa soirée loto tranquille.
Hypothèse 3 : les événements mondains perdent de leur importance et les femmes ont tout simplement moins d’occasions de se parer de leurs tenues extravagantes aux bras de leur mari.
Ainsi, dans les années 1929, les discours traditionalistes qui s’opposent à l’émancipation des femmes regagnent du terrain. Puisque la mode, on l’a vu, est intrinsèquement liée à l’évolution des mœurs, on assiste à un retour de la plume façon Belle Époque.
Néanmoins, le phénomène ne dure pas. Pourquoi ?
Non pas parce que les idées conservatrices se dissipent, mais parce qu’elles changent de nature. En effet, à la Belle Époque, le rôle attendu de la femme est celui de “porte-étendard” de la richesse de son mari. Elle doit s’effacer (notamment derrière de grandes et extravagantes plumes) et servir à exhiber le statut social de son gRanD mâLe. Dans les années 1929, les injonctions sont différentes : de (très) visible, la femme doit devenir discrète, docile, dédiée aux tâches domestiques. Il semble donc que les plumes apparaissent en contradiction avec cet idéal naissant - bien loin, tu l’auras compris, de toute forme d'émancipation - et que donc elles se raréfient.
La plume spectacle, plus vigoureuse que jamais
Vous allez me dire « ok on a compris, beaucoup de music-halls ferment et on a une petite crise dans le monde du spectacle : la plume spectacle disparaît aussi. » ET BAH NON, il lui en fallait plus pour s’envoler (je ne suis pas très sûre de cette blague mais j’ai tenté).
Ben ouais, contrairement à la plume bourgeoise qui est davantage soumise aux évolutions de la mode et des mœurs, l’utilisation de la plume spectacle n’est pas remise en question. Elle fait dorénavant partie intégrante de l’univers du music-hall et du cabaret. Dans les années 1930, on la trouve toujours sur plein d’affiches et au sein des spectacles eux-mêmes.
La plume est alors toujours présente sur le corps des danseuses (en gabrielle, en boa, sur leurs tenues, en coiffe) et ne les quitte plus. Elle leur est définitivement associée, toujours afin d’allier présence scénique, frivolité, sensualité et élégance.
Finalement, si la plume évolue dans le sens où elle accompagne les évolutions du monde du spectacle (par exemple quand il y a moins de restrictions sur scène elle couvre bien moins le corps, oui Joséphine on pense encore à toi), elle remplit, en 1930 comme en 1880, les mêmes fonctions. C’est peut-être ce qui fait sa durabilité : elle n’est pas soumise à une quelconque mode, elle ne change pas d’utilisation ou de signification dans le monde du spectacle. Elle peut alors, contrairement à la plume bourgeoise, s’ancrer dans son univers. D’ailleurs, si elle se fait plus discrète dans les années 1940 à cause des restrictions liées à la Guerre, elle revient en même temps que les revues des grands cabarets parisiens et retrouve son rôle dès la fin des années 1940. Cet usage se poursuit jusqu’à aujourd’hui : impossible de penser aux danseuses des grands cabarets parisiens sans songer à leurs immenses parures de plumes.
Pour résumer, dans cet article, on a vu trois types de plumes :
La plume-bourgeoise : au top à la belle époque, petit comeback au début des années 1930, mais en fait c’est un fail
La plume-liberté : issue d’une transformation de la plume bourgeoise, elle est associée aux idées de liberté des années 1920 mais ne fait pas long feu (rip)
La plume-spectacle, notre grande gagnante : en 1880 comme en 1940 (et même aujourd’hui) elle en impose et est définitivement associée à l’univers du music-hall
Au début de cet article, on se demandait si la plume était à l’époque un symbole de liberté pour les femmes qui la portaient comme accessoire : elle a pu l’être, dans une certaine mesure, mais finalement cette plume semble représenter la fragilité des avancées plus que la liberté. Tour à tour symbole de richesse, d’oppression, de fantasme ou de liberté relative, ses usages sont multiples et leur étude permet de comprendre et d’illustrer, du moins en partie, les évolutions de la condition et de la perception des femmes, puisque la plume les accompagne.
Et comme promis, voici la fiche récap !
T’as capté, Pimp my Culture se veut être une démarche participative.
Keske ça veut dire ? Ça veut dire qu’on considère qu’une bonne grosse réflexion ça ne se construit qu’en mettant plein d’idées et de thèses en confrontation : donc sens-toi libre d'ajouter ton petit caillou à l’édifice et de nous partager tes pensées, tes références & compagnie, on sera RAVIS de te lire !
Évidemment, si tu as des questions, n'hésite pas non plus <3.
En attendant, n’hésite pas à suivre Pimp my Culture sur Instagram et sur Tiktok (@pimpmyculture), on y parle de plein, PLEIN, de trucs différents du site :-).
Sources
Ouvrages généraux :
GOETSCHEL Pascale, LOYER Emmanuelle, Histoire culturelle de la France, de la Belle Epoque à nos jours, Paris, Armand Colin, 2011.
DUGAST Jacques, La vie culturelle en Europe au tournant des XIXe et XXe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.
Ouvrages spécialisés :
La question des femmes
BARD Christine, Les femmes dans la société française au XXe siècle, Paris, Armand Colin, 2001.
BARD Christine, EL AMRANI Frédérique, PAVARD Bibia, Histoire des femmes dans la France des XIXe et XXe siècles, Paris, Ellipses, 2013.
FRAISSE Geneviève (dir.), PERROT Michèle (dir.), Histoire des femmes - Le XIXe siècle, Paris, Plon, 1991.
THEBAUD Françoise (dir.), Histoire des femmes - Le XXe siècle, Paris, Plon, 1992.
La mode
BELFANTI Carlo Marco, Histoire culturelle de la mode, Paris, Editions du Regard, 2014.
BERTERO Eve, GEORGE Sophie, Modes du XXe siècle - Les Années folles, Paris, éditions Falbalas, 2009.
LE MAUX Nicole, Histoire du chapeau féminin, Paris, Massin, 2000.
MILLET AUDREY, Fabriquer le désir - Histoire de la mode de l'Antiquité à nos jours, Paris, Belin, 2020.
MULLER Florence, KAMITSIS Lydia, Les Chapeaux, une histoire de tête, Paris, Syros- Alternatives, 1993.
Le monde du spectacle
CHARLE Christophe, Théâtres en capitales, Naissance de la société du spectacle à Paris, Berlin, Londres et Vienne, Paris, Albin Michel, 2008.
COSTILLE Marine, Spectacles au music-hall. Le cas de quatre salles parisiennes, 1917 – 1940, mémoire soutenu en 2016, [En ligne], consulté le 25 janvier 2023. URL : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01417493/document.
LEROY Dominique, Histoire des arts du spectacle en France, Paris, L’Harmattan, 1990.
RICHARD Lionel, Cabaret, cabarets, Paris, Plon, 1994.
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